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qui est en même temps une sage politique, si l’on y avait, comme dans les îles restées françaises, des institutions électives. Il est vrai que, dans cette colonie plus avancée que toutes les autres, la classe des libres de couleur peut présenter depuis long-temps un grand nombre d’hommes dont la probité, la richesse, les lumières et la modération feraient honneur à un conseil représentatif ; un des leurs, M. Lislet-Geoffroy, était devenu officier supérieur du génie, correspondant de l’Institut de France. Mais c’est qu’à l’île Maurice les mulâtres ont toujours été traités avec plus de ménagement qu’ailleurs, et ont pu trouver dans l’espoir d’une juste considération un encouragement à s’élever. Ces deux puissans moyens de rénovation sociale, la bonne conduite des mulâtres et l’estime des blancs, sont destinés à réagir l’un sur l’autre, et tous deux sont nécessaires : ils doivent être réciproquement la cause et l’effet dans cette œuvre de réforme qui ne peut plus être arrêtée par le mauvais vouloir de la population dominante. Il faut plaindre les colonies qui seront les dernières à s’apercevoir de cette vérité ; le changement radical, qu’il s’agit maintenant de faire descendre jusqu’aux esclaves, ne s’opérera pas, pour ces colonies, avec la merveilleuse facilité qui honore à jamais l’ancienne Ile de France.

Une observation du même genre est provoquée par la composition des milices à la Martinique. Tous les habitans libres en état de porter les armes, de 16 à 55 ans, y sont appelés, sauf un très petit nombre d’exceptions ; mais nous ne voyons pas, dans cette statistique, qu’aucun officier ait été tiré de la classe de couleur. Sur un effectif de 443 hommes, formant 6 compagnies de cavalerie, nous trouvons 41 officiers, 402 sous-officiers ou soldats, et dans tout cela pas un seul libre de couleur. Dans les 6 bataillons d’infanterie, dont l’effectif est de 3,660, la statistique compte 297 officiers, tous blancs évidemment, puisqu’elle ne dit pas le contraire ; et quant aux sous-officiers et soldats, elle les confond dans une seule catégorie, où les blancs entrent pour 1,273 et les libres de couleur pour 2,090, de telle sorte qu’elle nous refuse, peut-être à dessein, le moyen de savoir positivement si les hommes de couleur ont été écartés même des grades subalternes de la milice.

Dans les établissemens d’instruction publique, la même ligne de démarcation existe toujours infranchissable. Sur ce point, la statistique officielle est plus explicite, car elle n’a pas à pallier un tort du gouvernement, qui n’est pas le maître, en effet, de violenter les volontés des familles et de répartir à sa guise les populations dans les écoles,