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DE LA QUESTION COLONIALE.

claves. Quant à cultiver soi-même, c’est encore, à l’heure qu’il est, aux yeux des hommes de couleur, et surtout de ceux qui sont récemment affranchis, un signe de vasselage qu’il leur répugne de subir, si nous en croyons les renseignemens qu’a recueillis le ministère de la marine par l’intermédiaire des autorités coloniales.

Quoi qu’il en soit, voici des faits ; chacun les expliquera à sa manière : nous nous contentons de transcrire. Les hommes libres de couleur, à la Martinique, ne possèdent guère, quant à présent, au-delà du neuvième de toutes les propriétés immobilières. Des 78,076 esclaves recensés, 13,585 seulement leur appartiennent. Il n’y a qu’un sixième environ des personnes de l’ancienne classe de couleur libre qui possède des propriétés immobilières. On évalue à 4,436 le nombre de carrés[1] cultivés appartenant aux libres de couleur, tandis que le nombre de carrés cultivés que possède la population blanche s’élève à 26,000. Sur les 2,466 maisons existantes au Fort-Royal et à Saint-Pierre, la classe blanche en possède 1,516, rapportant annuellement 1,424,276 fr., et les hommes de couleur 951, d’un revenu de 505,954 francs.

Avec la meilleure volonté du monde pour enregistrer des faits et les laisser parler d’eux-mêmes, il est difficile de ne pas donner ici l’explication la plus saillante et la plus compréhensive de ce peu de richesse immobilière qui se trouve dans les mains des libres de couleur. Indépendamment des causes d’infériorité qui doivent être imputées à leurs propres fautes, n’est-il pas évident que, s’ils sont pauvres, c’est qu’ils étaient esclaves naguère, et que, même libres, ils ont été long-temps opprimés ?

Ils subissent encore une sorte d’oppression, à laquelle la loi ne connaît peut-être pas de remède, mais que l’opinion publique entreprendra d’abolir graduellement. Ainsi, de la part des blancs, n’est-ce pas un étrange abus de la puissance du nombre que de n’avoir pas daigné tendre la main à un seul homme de couleur pour l’admettre dans le sein du conseil colonial et lui donner un simple droit de remontrance ? On a peine à croire que sur 44 éligibles de cette classe, il ne s’en soit pas trouvé un seul digne, même au jugement des blancs, de recevoir cet honneur, qui, sans être dangereux pour le maintien du statu quo insulaire, aurait été du moins une satisfaction accordée à l’opinion publique. Nous connaissons une colonie, jadis française, l’île Maurice, où l’on n’eût pas manqué à ce respect des convenances,

  1. Le carré de terre de la Martinique équivaut à 1 hectare 29 ares 26 centiares.