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nérale dans son armée ; et les Arabes sont d’autant plus fondés à le croire, qu’ils n’ignorent pas que l’émir lève des impôts dans ces deux villes.

En résumé, nous avions pensé trouver dans Abd-el-Kader un chef qui ambitionnait la gloire de civiliser son peuple, comme a fait Méhémet-Ali en Égypte ; nous avions cru qu’il était franchement lieutenant du roi des Français, et qu’il reconnaissait celui-ci pour son souverain ; mais il a pris soin lui-même de nous ôter ces illusions, et, sous ce rapport, on ne peut lui refuser le mérite de la franchise. Un d’entre nous lui ayant parlé des avantages qu’il y aurait pour les deux nations, s’il parvenait à amener les Arabes à la civilisation européenne, Abd-el-Kader lui répondit qu’il n’avait pas cette pensée, et que du jour où on la lui soupçonnerait, il serait abandonné de tous les siens. Quant à la souveraineté de la France, il ne nous a pas été difficile de nous apercevoir que, s’il l’admettait en fait, il ne la reconnaissait pas en droit : cette souveraineté est une nécessité incommode qu’il accepte momentanément, et que ses actes, ses projets, tendent sans cesse à réduire. C’est pour arriver à ce but qu’il fait quelques emprunts à notre civilisation ; mais ces emprunts, peu nombreux d’ailleurs, n’ont porté jusqu’à présent que sur son organisation militaire.

La campagne de l’émir sur le bord du Kobla paraît confirmer ce qui vient d’être avancé. Indépendamment du but fiscal, Abd-el-Kader a eu un autre objet en vue lorsqu’il l’a entreprise ; il voulait se créer une troisième ligne d’opérations qu’on pourrait appeler sa ligne de retraite. Autour de tous les points que nous occupons sur le littoral, existent des tribus qui, telles que les Gharabas à Oran et les Hadjoutes à Alger, sont toujours prêtes à exercer des hostilités contre les Européens : c’est la première ligne d’Abd-el-Kader, sa ligne d’attaque dans les deux provinces occidentales. Derrière celle-ci se trouve une ceinture de villes : Tlemsen, Mascara, Miliana, Médéah, qui forment une ligne centrale d’opérations dans les temps ordinaires. Si l’expérience a appris à l’émir que les Français peuvent arriver jusqu’à ces villes, elle lui a enseigné aussi qu’ils n’y restent pas, et que, par cela même, ils doivent peu désirer y retourner. Dans tous les cas, et en supposant l’occupation de toutes ces villes, il s’est ménagé, aux limites extrêmes de la régence, une troisième ligne à peu près inattaquable, à cause de son éloignement. Par la difficulté que nous éprouvons à pousser des expéditions à une quarantaine de lieues dans l’intérieur, il préjuge l’impossibilité d’aller beaucoup plus loin, con-