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de ne rien faire qui pût compromettre le nom français, nous étions convenus entre nous que nous nous abstiendrions des marques serviles de respect usitées dans ce pays, et que nous ne ferions à Abd-el-Kader d’autres politesses que celles qui sont en usage parmi les Européens ; nous n’allâmes pas lui baiser la main, nous refusâmes même de laisser nos chaussures à l’entrée de la tente, quoique le chiaouche nous fît observer que nous allions salir les tapis que le sultan avait coutume de baiser en faisant sa prière.

Après cette première entrevue, qui ne présenta rien de remarquable, nous allâmes visiter Sid-Mohammed (que l’on appelle ici Sid-Allal), bey de Miliana ; El-Berkani, bey de Medeah[1] ; l’Agha ; Ben-Nouna, et le marabout de Sebaou, le fameux Sid-Sâdi. Ces deux derniers personnages viennent d’être investis, par l’émir, de commandemens dans l’est de la province d’Alger, qui les mettent sur le pied des beys. Ben-Nouna, qui était kaïd de Tlemsen lorsque les Français s’emparèrent de cette ville, a été remplacé dans cette dignité par Bohamedi, le chef des Kabaïles de la Tafna.

Ces devoirs de politesse accomplis, nous allâmes visiter le camp : les cicérone ne nous manquèrent pas pour cet examen. Nous eûmes d’abord les prisonniers de Marseille dont il se trouvait cinquante-cinq dans l’armée de l’émir. Ces hommes, pleins de reconnaissance pour les bons traitemens qu’ils ont reçus en France, s’empressèrent de nous conduire partout où il y avait quelque chose d’intéressant à voir, et nous protégèrent contre l’incommode curiosité de la plus grande partie de leurs compatriotes, et l’insolence de quelques autres. Les Français déserteurs nous offraient aussi leurs services. Au moment où nous commencions notre promenade, un d’entre nous s’avisa d’allumer une pipe, passe-temps qui paraissait tout-à-fait local dans un bivouac arabe ; mais les premiers indigènes qui s’en aperçurent se hâtèrent de lui faire signe de l’éteindre. Nous ne comprenions pas d’abord les motifs de cette défense. En voici l’explication :

Plusieurs docteurs musulmans ont proscrit l’usage du tabac et même du café, et ce n’est certainement pas dans le koran qu’ils ont trouvé l’idée de cette double prohibition, puisqu’à l’époque où le livre sacré descendit du ciel, aucune de ces deux substances n’était

  1. Berkani descend d’une famille de marabouts qui de temps immémorial gouverne les Kabaïles de la montagne de Berkani à l’ouest de la Mitidja. C’est le meilleur homme de guerre de l’émir, qui vient de l’employer très activement à la soumission des habitans du Kobla au sud. Il est maintenant bey de Cherchel.