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VOYAGE AU CAMP D’ABD-EL-KADER.

nous arrivâmes en vue de Kara-Moustafa (Moustafa le noir, en turc) où l’on a établi depuis peu un camp français. Nous apercevions alors l’Oued-Kaddara, rivière qui dans son cours inférieur et à son embouchure porte le nom d’Oued-Boudouaou. C’est la limite orientale que le traité de la Tafna assigne à nos possessions dans la Mitidja ; il est vrai que l’expression et au-delà qui suit le nom de cette rivière rend la délimitation très équivoque et nous permet à la rigueur de nous étendre beaucoup plus loin : mais Abd-el-Kader a déjà tranché la difficulté en percevant l’impôt et en établissant des kaïd ou chefs sur toutes les tribus qui sont au-delà du Kaddara.

En descendant sur l’Oued-Kaddara, nous commençâmes à rencontrer des traces de la route pavée bâtie par Omar-Pacha. Plus loin on la retrouve à peu près intacte, et elle se prolonge jusque dans la vallée de l’Isser, au grand déplaisir des voyageurs ; car elle est en général très raide, et quelquefois même elle offre une succession de degrés : c’est alors un véritable escalier, tout-à-fait semblable à la rue de la Casbah d’Alger.

Nous atteignîmes de bonne heure le gué du Kaddara, et nous vîmes cette rivière sortir d’une gorge étroite et profonde, le long du mont Ammal. Sur notre gauche, son bassin s’élargissait brusquement et devenait une très belle vallée assez bien boisée ; à droite, un mamelon fort élevé, couvert de chênes verts, commandait le défilé dans lequel nous allions nous engager. Les oliviers sauvages paraissaient déjà en grand nombre et se faisaient remarquer par leur hauteur et la vigueur de leur végétation. Ce ne fut cependant qu’un peu plus loin que nous rencontrâmes l’olivier cultivé, et que nous pûmes nous faire une idée de l’importance des produits oléagineux obtenus par les Isser, les Zouetna et les Ammal, les trois principales tribus qui approvisionnent d’huile le marché d’Alger.

Le défilé du Kaddara est assez difficile ; mais il n’est pas impraticable pour une armée française, comme voulaient nous le faire croire les guides qui nous accompagnaient. Ceux-ci prétendaient que, si jamais les chrétiens s’y engageaient, ils y resteraient tous jusqu’au dernier. Le passage du col de Tenia, sur la route de Médéah, présente bien plus d’obstacles, et nos soldats l’ont souvent effectué, malgré les efforts des montagnards.

Cependant, par suite de l’étroitesse de la gorge, la route qui longe la rivière est dominée à droite et à gauche, à très petite portée de fusil ; et, comme la rivière coule dans un lit de torrent, entre des berges à pic dont la hauteur varie de dix à quarante pieds, les