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REVUE. — CHRONIQUE.

frappé tous les bons esprits qui se sont occupés de la question et qui ont pu l’étudier sur le théâtre même des évènemens ; car on sent bien aujourd’hui que la force d’un état réside dans l’étroite alliance, dans la complète solidarité de tous les intérêts qui se meuvent en son sein ; et le pacha d’Égypte ne saurait échapper à cette loi. Quels que soient ses préjugés de vieux Turc, il n’en est pas à ignorer que la cause principale de l’affaiblissement de l’empire turc en Europe, est précisément cette lutte intestine, cet antagonisme des races diverses dans ses entrailles ; que par là, une fois passée la première ardeur de la conquête, il a donné prise à l’action destructive de l’étranger et que c’est là le mal auquel il succombe.

Vous me demanderez peut-être combien de temps exigerait ce travail d’assimilation et de fusion que je crois si nécessaire, cette élévation graduelle de la race arabe au pouvoir, sans laquelle Méhémet-Ali n’aura point de nation pour base de sa puissance et ne donnera point à son œuvre la meilleure de toutes les garanties de durée. Je ne sais, monsieur, mais je vois que la communauté de religion aidera grandement au succès, et je pense qu’il ne faut pas ménager le temps, quand on a la prétention de travailler pour l’avenir d’une dynastie.

J’ai cherché à vous démontrer, monsieur, que les intérêts du pacha d’Égypte ne souffriraient point de la continuation du statu quo, et que si l’Europe exige de lui le sacrifice momentané de ses ambitieux projets, il aurait tort de se regarder comme opprimé par elle. J’ai insisté sur ces considérations, parce que j’aime et admire ce grand homme, parce que je désire le succès de son œuvre et que je serais désolé de le lui voir compromettre par des résolutions intempestives. La France doit partager ces sentimens ; car elle a puissamment contribué à son élévation, et elle partage avec lui la gloire de ce qu’il a fait. Ne croyez pas que la préférence qu’il semble maintenant témoigner à l’Angleterre et aux Anglais ait eu la moindre influence sur l’opinion que je développe ici. C’est une modification que les circonstances expliquent trop bien pour que je m’en inquiète. Les Anglais y gagnent et nous n’y perdons rien. La situation sera toujours plus forte que les dispositions changeantes des hommes, et Marseille continuera de nous commander une étroite union avec Alexandrie, si le vice-roi se convertit à de plus saines maximes d’économie politique. Du reste, quels que soient les capitaux qui fécondent la terre d’Égypte, les bras qui creusent ses canaux, les ingénieurs qui dirigent un chemin de fer à travers le désert, ce sera toujours la France qui en tirera le plus grand profit, et en aucun cas elle ne doit être jalouse de l’influence qui pourra concourir avec la sienne à la réalisation de ces progrès. Mais enfin, peut-être ne donnera-t-on pas à Méhémet-Ali toutes les belles raisons que je vous ai déduites, et si on les lui donnait, peut-être refuserait-il de s’y rendre, sous prétexte qu’il apprécie mieux que personne les nécessités de son avenir. Il faut donc que je vous dise le dernier mot, le mot politique de l’affaire. Ce n’est vraiment pas un grand secret, et tout le monde le pressent. Ce mot, le voici.

À la première nouvelle des intentions manifestées par le vice-roi d’Égypte, on a vu et on a répété de toutes parts que, si la rupture avait lieu, ce serait le casus fœderis prévu par les traités entre la Russie et la Porte ottomane. Cette conclusion a paru si évidente que déjà on annonce que le sultan adresse au cabinet de Pétersbourg une demande formelle de secours ; et dans la per-