Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/434

Cette page a été validée par deux contributeurs.
430
REVUE DES DEUX MONDES.

second plénipotentiaire de l’Autriche était M. de Wessemberg, esprit droit, juste et parfaitement modéré, qui avait bien compris la mission pacifique et conciliatrice de la conférence. Les mêmes nécessités, dans une situation meilleure, imposent à son successeur les mêmes devoirs, et aucun des juges du procès ne changera de rôle avec les avocats naturels des parties. Au reste, le personnel de la conférence est à moitié renouvelé. À M. de Talleyrand a succédé M. Sébastiani ; pour la Russie, M. de Lieven est remplacé par M. Pozzo di Borgo, et, s’il y a un second plénipotentiaire, ce ne sera plus M. de Matuscewicz ; pour la Prusse, c’est toujours le respectable baron de Bulow, digne représentant d’un excellent souverain ; et quant à l’Angleterre, les honneurs de Downing-Street continueront d’être faits en son nom par lord Palmerston. Je puis vous assurer à ce propos que l’alliance anglaise est plus que jamais une vérité, que le cabinet de Saint-James et le cabinet des Tuileries s’entendent à merveille, et qu’il y a lieu d’espérer de cet accord, favorisé par les dispositions générales de l’Europe, les meilleurs résultats.

Avant de quitter ce sujet, je vous dirai, monsieur, que le Journal de La Haye m’a fait l’honneur de reproduire ma première lettre, avec force réserves en note sur la question financière. Mais je n’en suis pas ébranlé le moins du monde ; plus j’y réfléchis, plus je crois que la prétention de faire payer à la Belgique les arrérages de la dette, et de laisser le chiffre de cette dette fixé pour l’avenir à 8,400,000 florins, est insoutenable. La Hollande a sur ce point son parti à prendre, son sacrifice à faire ; et si le traité des 24 articles ne recevait pas d’autre modification, elle devrait s’estimer fort heureuse de ne pas payer plus cher le plaisir qu’elle s’est donné de paralyser pendant sept ans la ferme volonté de toute l’Europe. Mais tout n’est pas dit là-dessus, et je suis persuadé qu’on ne négligera rien pour alléger le fardeau de la Belgique, pour sauver son honneur et celui de son souverain, pour diminuer ses sacrifices. Elle a dans le roi Léopold, gendre du roi des Français et oncle de la reine d’Angleterre, un excellent médiateur.

Maintenant, monsieur, je passe, sans transition, à un sujet différent, sur lequel je vous ai promis quelques mots. Ce n’est pas tout-à-fait ce que l’on appelle la question d’Orient, question immense et complexe qui en contient plusieurs autres ; mais c’en est un épisode considérable, ou, si vous l’aimez mieux, c’est une question d’Orient. Je la crois toujours flagrante. Il est vrai qu’on s’était un instant beaucoup moins occupé des projets d’indépendance de Méhémet-Ali et du grand mouvement que la première nouvelle en avait excité. Ce nuage semblait avoir disparu ; mais, si je ne me trompe, il n’a pas tardé ou ne tardera pas à se reformer et à menacer derechef la tranquillité de l’Europe.

L’indépendance du pacha d’Égypte ! voilà donc de quoi il s’agit, c’est-à-dire du troisième ou quatrième démembrement de l’empire turc, de l’établissement d’une souveraineté nouvelle sur une grande étendue du littoral de la Méditerranée, de l’introduction d’un nouvel élément dans le système général de la politique européenne ; car aujourd’hui l’Égypte et la Syrie ne peuvent plus en être séparées. À cette menace, tous les cabinets se sont émus, la diplomatie s’est consultée, les flottes se sont mises en mouvement ; on assure même que déjà l’empereur Nicolas a ordonné, dans la Russie méridionale, des concentrations de troupes, qui annoncent l’intention de porter rapidement ses forces sur Constantinople et l’Asie mineure. C’est, comme vous le voyez, une bien grosse question que celle qui excite tant d’alarmes,