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ESPRIT DE LA SESSION.

résultat. De cette façon, on était à jamais affranchi de quelques lieux communs sur lesquels avaient vécu pendant plusieurs années quelques orateurs de tous les côtés de la chambre ; c’était leur annoncer qu’il fallait renouveler leur répertoire et leur vocabulaire. Mais aussi cette abdication de tous les souvenirs indiquait une indifférence politique devant laquelle pouvaient échouer les pensées hardies qui voudraient entraîner la chambre dans des voies imprévues. M. Thiers en fit sur-le-champ la douloureuse expérience. Avant de s’être donné le temps de reconnaître l’assemblée à laquelle il avait hâte de s’adresser, il parla à la chambre, comme à un sénat politique, comme à des patriciens de Westminster ou du temple de Mars qui pouvaient disposer à leur gré de la paix ou de la guerre. Erreur brillante que personne ne doit regretter, pas même l’éloquent vaincu du 13 janvier. Avec moins d’audace, M. Thiers eût moins fait éclater ses qualités heureuses, il n’eût pas imprimé comme il l’a fait, au début de la session, un caractère d’élévation et de dignité. Dans un pays où les questions de politique étrangère sont encore peu comprises et peu populaires, on aurait mauvaise grace à se plaindre qu’un homme comme M. Thiers ait prodigué son talent à l’éclaircissement d’un des plus graves intérêts de nos relations extérieures. Seulement il nous semble que, sur ce point, il n’a plus de sacrifices à faire : il a plus que payé sa dette à ses convictions ; il doit désormais se réserver tout entier pour les autres nécessités politiques qui pourraient le réclamer un jour.

Puisque la chambre ne voulait à l’intérieur entendre parler ni de la censure ni de l’apothéose du passé ; puisqu’à l’extérieur elle désirait maintenir le statu quo et ne rien changer à la direction persévérante qui menait les affaires depuis sept ans, quelle conséquence devait tirer de cette conduite le ministère du 15 avril, si ce n’est qu’il n’était pas désagréable à la chambre, et qu’il suffisait aux circonstances ? Il prit donc la résolution de ne céder la place à personne et de faire face aux affaires.

Ici commença une situation nouvelle. Tant qu’on avait pensé que le ministère du 15 avril ne considérait son existence que comme un intermède entre l’ancienne chambre et la nouvelle, qu’il ne se prenait lui-même que comme un maître de cérémonie chargé d’inaugurer et d’installer un autre ordre de choses et d’autres hommes, on avait patienté ; quelques éloges même avaient servi d’encouragement et de récompense à ce rôle modeste ; oui, tant qu’on crut que le ministère se bornerait à jouer les utilités, on le soutint ; mais quand on le vit prétendre à tenir les chefs d’emplois, on cabala.