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DE L’ÉGLOGUE LATINE.

gers : ils peuvent encore écrire sur des rochers ce que les pâtres écrivent sur l’écorce des arbres. Seulement je regrette que ces détails aient trop l’air d’une traduction maritime des détails usités dans l’églogue de terre ferme, et surtout que, dans le nombre, il y en ait où cette traduction semble forcée. Par exemple, un amant qui pleure sa maîtresse, la voit en imagination, aux sombres bords, occupée à pêcher. Je sais bien que, selon Virgile, les ombres ne renoncent point, dans l’autre monde, à leurs habitudes ; mais faire pêcher Philis sur la rive du Léthé, est fort voisin du ridicule. L’algue marine figure singulièrement dans un bouquet ; des guirlandes de coquillages sont une bizarre décoration tumulaire ; enfin la mer ne fournit pas aussi naturellement que les bois et les prairies aux dons amoureux de l’églogue. Fontenelle a eu raison de dire : « Il est plus agréable d’envoyer à sa maîtresse des fleurs et des fruits que des huîtres à l’écaille. »

De tels détails, un pareil ensemble, ont quelque chose de factice, et s’éloignent bien de la manière de Théocrite, le seul poète franchement bucolique qu’il y ait peut-être jamais eu. Ce qui anime les églogues de Sannazar comme celles de Virgile, c’est, outre beaucoup d’élégance et d’harmonie, la vérité des circonstances particulières, empruntées à la nature et à la vie réelle ; c’est le langage éloquent de la passion, qu’il regrette une maîtresse adorée ou un roi mort dans l’exil. Les descriptions marines sont, quelquefois aussi, charmantes de couleur et expriment avec vérité la nature, la vive lumière, le ciel bleu et les flots azurés du golfe de Naples.

J’oubliais d’ajouter aux cinq pastorales de Sannazar, intitulées Piscatoria, une sixième églogue, Salices, qui se passe sur les bords d’une rivière. Cette pièce, pleine de grâce virgilienne et de suave mélodie, est un pastiche, un centon charmant, qui raconte à la manière d’Ovide la métamorphose d’une troupe de nymphes attirées par des satyres dans une sorte de guet-apens.

L’églogue latine ne finit pas à Sannazar. Après lui vient Vida, copiste élégant, mais servile, des procédés de Virgile. Après Vida et jusqu’à nous, on compterait des milliers de poètes qui ont usé et abusé en toute manière de la forme de l’églogue antique, pour l’expression d’idées qui n’avaient rien de champêtre. Au XVIe siècle, l’églogue passa aux langues modernes. Le Tasse et Guarini, parmi beaucoup d’autres, la portèrent sur la scène dans des compositions dramatiques, qui fondèrent un nouveau genre de poésie pastorale. Celle des grands romans, des longs drames français du