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DE L’ÉGLOGUE LATINE.

lancolique et des chagrins amoureux le rendirent insensible à sa gloire littéraire. Son cœur s’était montré plus précoce encore que son esprit : à huit ans, il avait éprouvé, pour une noble demoiselle, dont les critiques ont cherché le nom et que quelques-uns ont cru être une fille de Pontanus, la passion si bien peinte par Virgile chez un adolescent moins jeune que lui. Cette passion n’avait fait que s’accroître dans la solitude d’une campagne où sa mère s’était retirée, pendant quelques années, avec son enfant orphelin ; il l’avait depuis rapportée plus vive encore à Naples, et les obstacles qui s’y opposaient le jetèrent dans un tel découragement, qu’il songea à s’ôter la vie. Pour échapper à ces pensées, il crut devoir voyager ; mais une maladie dangereuse, à laquelle il échappa, lui fit craindre de mourir loin de sa mère ; il revint lui fermer les yeux, et ne retrouva plus vivante cette maîtresse qui avait fait le destin de ses premières années, et qu’il regretta, qu’il chanta, le reste de sa vie, dans ses divers ouvrages, sous le nom de Philis, d’Amaranthe et de Charmosine.

À cette première époque se rapporte la composition de son Arcadia, poème pastoral en italien, mêlé de prose et de vers, et dans lequel ses amours et ses chagrins occupaient une grande place. L’Arcadia eut le plus grand succès ; Sannazar se rendit célèbre aussi par ses poésies latines, ses élégies dans le goût de Properce, ses épigrammes, et surtout son poème en trois chants, de partu Virginis, qui lui coûta de longues années de travail assidu, et qui le fit nommer le Virgile chrétien ; poème élégant et singulier, où, selon le génie de ce temps, il a mêlé une sorte de paganisme littéraire à l’expression des dogmes catholiques.

La grande réputation de Sannazar lui concilia la faveur des princes aragonnais ; lors de la conquête de Charles VIII, il leur resta plus fidèle que Pontanus ; il en fut récompensé, non pas par Ferdinand II, qui, à son retour dans ses états, le traita avec assez d’indifférence, mais par le successeur de celui-ci, Frédéric II. Ce prince lui donna la villa di Mergellina, ancienne résidence des princes angevins, charmante demeure qui, du haut du Pausilippe, dominait le golfe de Naples et les scènes délicieuses de ses rivages. Il y fit construire une tour pour mieux jouir de ces tableaux inspirateurs. C’est là que, dans le loisir que Virgile et Horace avaient dû à Mécène, il expliquait à table, avec ses doctes amis, les écrits des anciens ; c’est là qu’il célébrait ces singuliers anniversaires de la fête de Virgile, où il se faisait lire, par un de ses serviteurs, des vers de Properce, pour concilier ses deux admirations. Ne croirait-on pas retrouver là les sacrifices virgiliens