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de la jurisprudence anglaise, il ajouta celle des principes mêmes du droit, qu’il puisa dans les Pandectes de Pothier. C’est à l’aide de cet ouvrage, où se trouvent classées dans un ordre supérieur les belles règles de justice laissées par la droiture antique et par l’habileté romaine, qu’Edward Livingston remonta aux théories même de la science. Il n’y prit point la pensée de ses propres codes, qui ne lui vint que plus tard, mais la méthode sévère et puissante qui lui permit de les réaliser.

Ainsi préparé, il entra au barreau de New-York. Il y obtint des succès brillans et acquit promptement la réputation d’un avocat habile. Les avocats sont, dans les pays démocratiques, les candidats naturels à la législature. Ed. Livingston dut à sa renommée précoce plus encore qu’à la puissante influence de sa parenté, d’être appelé, bien que fort jeune, de la carrière du barreau dans celle des affaires publiques. Il avait à peine trente ans lorsqu’il fut nommé, en 1794, par l’état de New-York, l’un de ses représentans au congrès. Pour apprécier la position qu’il y prit, les amitiés politiques qu’il y forma, le rôle distingué qu’il y joua à côté des fondateurs de la liberté américaine, il faut jeter un rapide coup d’œil sur l’état de la république nouvelle, sur les partis qui la divisaient, et les directions diverses qu’ils voulaient donner à ses destinées naissantes.

Washington gouvernait alors la république des États-Unis après l’avoir sauvée. Il en avait été nommé président deux fois de suite, et il le serait resté jusqu’à sa mort s’il l’avait voulu. L’Amérique délivrée avait pris la confiante habitude de se laisser conduire par ce citoyen admirable, qui n’avait abusé ni de la dictature ni de la victoire, qui savait la régir comme il avait su la défendre, qui avait mis tant de vertu dans le commandement, montré tant de sagesse politique dans l’organisation de l’état, porté tant de simplicité dans la grandeur et de modestie dans la gloire. Elle aimait ce grand homme tout-à-fait honnête, dont l’ame fut toujours haute, ferme, sereine, le caractère sans défaut, l’esprit sans insuffisance, la vie sans tache, et qui mérita le bel éloge d’avoir été le premier dans la guerre, le premier dans la paix, le premier dans le cœur de ses concitoyens.

Le peuple américain était sorti, en 1783, de la crise d’émancipation après sept ans de lutte contre les forces de la métropole, qui s’était alors décidée à reconnaître son existence. Il était sorti de la crise d’organisation en 1789 par l’établissement d’un vigoureux gouvernement fédéral qui l’avait préservé d’une décomposition imminente. Il avait ainsi triomphé des dangers militaires et des dangers