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lement des hommes, mais des principes, se font sentir et sortent de toutes parts le jour où le monde est à eux, et que nulle fin humaine, en aboutissant, ne répondra à la promesse des précurseurs. S’ils étaient là, comme Lafayette, pour la juger, ils la jugeraient avortée, ou bien, pour se faire illusion encore, ils la jugeraient ajournée ; ils attendraient, pour clore à souhait, je ne sais quel cinquième acte, qui, en venant, ne clorait pas davantage. Ainsi l’homme, sur le débris et la pauvreté de son triomphe, meurt mécontent. Je ne veux pas rire ; mais Lafayette, désappointé en mourant, me fait exactement l’effet de Boileau. Oui, Boileau, de son vivant, triomphe ; il est réputé législateur à satiété ; son Art poétique a force de loi ; la Déclaration des Droits n’a pas mieux tué les priviléges que ce programme du Parnasse n’a tué l’ancien mauvais goût. Eh bien ! Boileau mourant croit tout perdu et manqué ; il en est à regretter les Pradons du temps de sa jeunesse, qu’il appelle des soleils en comparaison des rimeurs nouveaux. En quoi Boileau a tort et raison en cela, je ne le recherche pas pour le moment ; je reprendrai cette thèse ailleurs. Comme résultat, mon idée est que le vœu de Boileau, comme celui de Lafayette, n’avait qu’en partie manqué ; en gros, et pour d’autres que lui, le but semblait atteint, et l’objet obtenu. Mais je m’arrête ; je ne voudrais pas avoir l’air badin, ni paraître rien rabaisser dans mes comparaisons. On pardonnera aux habitudes littéraires, si je rapporte ainsi les grandes choses aux petites, et les politiques aux rimeurs, qui ne sont guère dans l’état que des joueurs de quille, comme disait Malherbe,

La rentrée de Lafayette en France après le 18 brumaire, son attitude au milieu des partis dès-lors simplifiés, ses réponses aux avances du chef comme à celles de la minorité opposante, tout cela est raconté avec un intérêt supérieur et plus qu’anecdotique, dans l’écrit intitulé mes Rapports avec le premier Consul, dont j’ai précédemment cité l’éloquente conclusion. On voit dans ces récits de conversations, à quel degré Lafayette a le propos historique, le mot juste de la circonstance et comme la réplique à la scène ; un jour, causant avec Bonaparte, à Mortfontaine chez Joseph, il s’aperçut que les questions du consul tendaient à lui faire étaler ses campagnes d’Amérique : « Ce furent, répondit-il en coupant court, les plus grands intérêts de l’univers décidés par des rencontres de patrouilles. » Il a beaucoup de ces mots-là, soit au balcon populaire et en plein vent, comme il dit, soit dans le salon.

Son rôle ou plutôt l’absence de tout rôle, à cette époque du consulat et de l’empire, est dictée par un tact politique et moral des plus par-