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l’aristocratie et l’anarchie. » Il se souvient que, parmi ces mêmes républicains, Clavière, deux ans auparavant, avait mis dans la tête de Mirabeau, dont il était le conseil, de soutenir le veto absolu du roi comme indispensable ; que Sieyes, un an auparavant, publiait encore, par une lettre aux journaux, que, dans toutes les hypothèses, il y avait plus de liberté dans la monarchie que dans la république. On trouve, de temps à autre, dans ces Mémoires de Lafayette, de petites collections et de jolis résumés, en une demi-page, de ces inconséquences de tout le monde ; il va en dénicher, des inconséquences, jusque dans de petites notices littéraires publiées par d’excellens et purs républicains, mais qui ne sont pas tout-à-fait de 89 : il eût été plus indulgent de les celer. Il se trouve, en définitive, présenté, lui et son parti, comme le seul conséquent (c’est tout simple), et lui-même comme le plus conséquent de son parti. Il s’en applaudit, c’est sa prétention de Grandisson, comme on l’a dit, et plus fréquemment manifestée qu’il n’importerait au lecteur. Il vaudrait mieux le moins démontrer de soi et laisser les autres conclure. Je suis un peu effrayé par momens, je l’avoue, de cette unité et de cette perpétuité de raison, cela fait douter ; quelques fautes de loin en loin rendraient confiance. On en est un peu impatienté du moins ; car chacun est, au fond, s’il n’y prend garde, comme ce paysan d’Aristide.

Tout en profitant avec plaisir, comme lecteur, de ces instructives et continuelles confrontations, j’aime mieux Lafayette insistant sur les inconséquences opérées par corruption. Son livre apprend ou rappelle, sur ce chapitre des fonds secrets, quelques chiffres curieux par leur emploi. J’omets vite Mirabeau, dont on voudrait absoudre la conscience du même mouvement par lequel on salue son génie et sa gloire ; mais Danton, mais Dumouriez, mais Barrère, on ose compter avec eux. Sur Dumouriez, du reste, il écrit de belles et judicieuses pages. Quand je dis belles, on entend bien qu’il ne peut être question de talent littéraire, mais l’habitude du bon langage se retrouve naturellement sous cette plume simple ; les récits, les réflexions abondent en manières de dire heureuses, modérées, et qui portent. L’écrit intitulé Guerre et Proscription, finit par ces mots : « Dumouriez, réconcilié avec les girondins, eut le commandement de l’armée de Lafayette. L’entrée des ennemis le tira d’affaire ; il prit devant eux une très bonne position. Dumouriez, qui n’avait joué jusqu’alors que des rôles subalternes, se montra fort supérieur à ce qu’on devait attendre de lui. Il déploya beaucoup de talens, des vues étendues, et l’on jugea pendant quelque temps de son patriotisme par ses