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LIVINGSTON.

sance de la nouvelle nation. Son beau-frère Montgommery fit devant lui ses adieux à Jeannette Livingston, avec laquelle il était marié depuis moins d’un an, pour marcher contre le Canada, où ce valeureux capitaine, après avoir pris la ville de Montréal, devait périr à l’assaut de Québec sous la mitraille anglaise. Edward Livingston assista à leur touchante séparation ; il vit le pays reconnaissant élever, par un décret public, un monument à la mémoire de ce jeune héros, et sa veuve, le cœur rempli d’une tristesse éternelle, revêtir comme une Romaine et porter pendant cinquante ans le deuil de celui qu’elle appelait son soldat. Il vit arriver à Clermont les nobles et intrépides auxiliaires que l’amour de la gloire, le goût naissant de la liberté et les intérêts de la politique conduisirent d’Europe en Amérique ; et le premier comme le plus célèbre d’entre eux qu’il connut d’abord, fut ce généreux La Fayette, qui devint l’hôte des Livingston, et qui commença dès-lors à se montrer le défenseur officieux des peuples. Tels furent les patriotiques exemples, les beaux spectacles, les illustres personnages au milieu desquels se forma l’adolescence d’Edward Livingston. Il trouva dans sa propre famille l’éducation morale qui fait l’honnête homme, et l’éducation publique qui fait le bon citoyen.

Mais si le caractère d’Edward Livingston s’était développé à cette forte école, si même sa raison s’y était mûrie de bonne heure, son instruction avait été un peu négligée. Le temps des guerres civiles n’est pas favorable aux études, et un peuple qui cherche à fonder son existence s’occupe peu d’orner son esprit. Les traditions littéraires n’avaient cependant pas disparu. L’Amérique, détachée de l’Europe par les institutions, lui était restée unie par les idées, et sous ce rapport elle semblait encore une colonie du vieux monde. Elle n’avait pas perdu les nobles goûts de l’esprit ; l’on n’y était pas encore arrivé à penser uniquement pour agir, et à réduire les hauts services de l’intelligence aux besoins usuels de la vie. Les hommes éminens qui étaient les disciples du génie européen, vivaient toujours et servaient de parure à leur pays après l’avoir délivré. Edward Livingston les prit pour modèles ; il se livra à la culture des lettres et à l’étude du droit avec cette vigueur de volonté et cette persévérance d’attention qu’il montra depuis en toutes choses. Il s’appliqua à connaître le droit coutumier d’Angleterre, conservé par l’Amérique, dans les nombreuses collections d’arrêts, dédale obscur de décisions confuses qui enlèvent à la règle du droit ses mérites les plus nécessaires en lui ôtant son évidence et sa généralité, et qui obligent sans cesse de faire corriger le législateur par le juge. À la connaissance pratique