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tenant avec plus de résolution que jamais ses recherches patientes et consciencieuses ; son œuvre ne se fera pas vite, mais elle se fera. C’est un de ces fils dévoués de la science, que la mort seule peut arrêter dans leur dévouement.

M. Geiier a, comme Fryxell, les qualités brillantes de l’écrivain, et, comme Strinnholm, l’érudition acquise par de longues études. Il a de plus le coup d’œil vif et pénétrant, qui embrasse d’un regard toute une série d’idées, la sagesse de l’homme pratique qui résume les faits, et l’esprit du philosophe qui en tire les conclusions. Son style est mâle, concis, éloquent ; il y a en lui une énergie comparable à celle de Tacite, et il possède cette austère probité que Quintilien recommande aux orateurs, et qui devrait être surtout le partage des historiens. Dès ses premiers travaux, il s’est élevé au dessus de ceux qui l’avaient précédé en Suède ; il mérite d’être mis à côté des meilleurs historiens de France et d’Allemagne.

Éric Geiier est né le 12 janvier 1783, dans la province de Wermelande. Il passa ses premières années dans cette solitude de la campagne qui donne à certaines ames une sorte de sève poétique qu’elles ne trouveraient pas dans les grandes villes. À l’âge de seize ans, il entra comme étudiant à l’université d’Upsal, puis il revint dans sa famille, sentant le besoin de se créer une carrière et ne sachant encore laquelle il choisirait. Une circonstance qui d’abord l’affecta péniblement, décida de sa destinée. Comme il n’avait pas de fortune, il avait pensé à entrer dans quelque maison riche en qualité de précepteur. Un ami de son père essaya de lui procurer une place. Mais quand il eut énuméré les vertus de son protégé, les personnes auxquelles il s’adressait répondirent qu’elles avaient pris des renseignemens ailleurs, et qu’on leur avait représenté le jeune étudiant comme un étourdi.

Geiier a lui-même raconté, avec une aimable naïveté, ce premier échec qui amena son premier succès. Je ne peux résister au plaisir de citer son récit : c’est une des plus jolies pages de biographie que je connaisse.

« Quand on eut formulé, dit-il, ce jugement sur moi, je compris pour la première fois ce que veut dire bruit et renommée. Je me crus perdu dans l’opinion du monde, et je brûlai du désir d’effacer la réputation inattendue qu’on venait de me faire, en m’en créant une meilleure. Je pris la plume et j’écrivis mon éloge de Sten Sture l’ancien, pour l’académie suédoise (1808). Ce travail se fit très mystérieusement. Lorsque l’idée me vint de concourir, je ne savais pas même quel était le sujet proposé par l’académie. Mais il devait se trouver dans les journaux de Stockholm qui, après avoir fait le tour de la paroisse, revenaient au presbytère. Par une soirée du mois d’août, je m’en allai au presbytère en rêvant, et j’inventai un prétexte pour prier le prêtre de vouloir bien me prêter les feuilles de l’année. Il prit, dans un vieux tiroir de table, parmi des croûtes de pain et des croûtes de fromage, je ne sais combien de numéros incomplets. Heureusement j’y trouvai ce que je cherchais. En m’en retournant à la maison de mon père, je sentais déjà l’influence d’une conception littéraire. Ces journaux me pesaient dans les mains, et toutes mes