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DES ÉTUDES HISTORIQUES DANS LE NORD.

rives de la mer Baltique et de la mer Noire, la Scythie et la Scandinavie. Ceux qui vinrent après lui marchèrent dans les mêmes erreurs. Plus le cercle historique tracé par Jordanes, était grand, plus il flattait l’orgueil national. Ils se gardèrent donc bien de le restreindre. Ils prirent à la lettre ce que l’historien goth avait dit de Scandia, et firent de cette pauvre terre du Nord, qui devait être alors fort mal peuplée, le berceau de ces innombrables tribus qui envahissaient le midi de l’Europe, la vagina gentium.

Les écrivains latins n’offrent, comme on le voit, pour l’étude primitive de la Suède, que quelques faits généraux et quelques notions géographiques. Les sagas islandaises renferment une quantité de récits de guerre ou de voyage, de traits de mœurs essentiels, de notices biographiques. La première partie du livre de Snorre Sturleson, l’Ynglinga saga, est le premier chapitre de l’histoire de Suède. Quelques fables se sont mêlées à ce chant des scaldes conservé par un homme de génie ; mais, à moins de vouloir retomber dans le vague le plus complet, on ne saurait mettre en doute l’authenticité des noms et des faits principaux cités dans cette saga.

Vers le milieu du IXe siècle, un descendant des fils d’Odin, un prince de la race des Ynglingues, régnait en Norvége : c’était Harald aux beaux cheveux, qui assujettit à son pouvoir les districts indépendans qui l’entouraient, et devint, comme Gorm en Danemark, le maître absolu d’un pays divisé jusque-là en plusieurs principautés. Il y avait à la cour de ce prince un scalde célèbre nommé Thivdolfer qui, pour mériter sa faveur, ou le remercier de ses bienfaits, chanta la gloire des Ynglingues depuis Odin jusqu’à Ingale Illroda. C’est d’après ce chant de Thivdolfer dont il cite plusieurs fragmens, c’est d’après les chants de Brage et de quelques autres scaldes, que Snorre a composé une partie de sa Heimskringla. Il connaissait d’ailleurs les traditions populaires. Il était venu les étudier en Suède et en Norwége, et, dans un siècle d’ignorance où les moines suédois pouvaient à peine écrire quelques froides pages d’annales, l’historien islandais composa un ouvrage, que l’on peut regarder encore comme un chef-d’œuvre d’esprit et un modèle de narration.

C’est là qu’il faut chercher l’origine des monarchies du Nord, la généalogie de ses premiers rois, le culte de ses premiers dieux. Odin était parti avec ses compagnons des bords de la mer Noire ; il se dirigea du côté de Garderike (Russie), puis il traversa le nord de l’Allemagne, la Saxe, et vint aborder en Fionie, où il fonda une ville qui porte encore son nom : Odensee. Il voyageait avec tant d’ordre et tant de pompe, qu’il imposait le respect et l’admiration. À son approche, les discordes civiles s’apaisaient, le ciel devenait plus riant, les moissons devenaient plus belles, et les peuples, en le voyant passer, l’adoraient comme un dieu. Quand il fut devenu maître de la Fionie, il envoya Gefion, la fille des Ases, au nord. Gefion se présente devant Gylfe, roi de Suède, lui demande, comme Didon, une portion de terre à cultiver, et Gylfe dit qu’il lui donnera celle que quatre bœufs peuvent labourer en un jour.