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DE L’UNITÉ DES LITTÉRATURES MODERNES.

connu nous enveloppe et nous serre de plus près que jamais ! Ne craignons pas qu’il nous manque. Notre science accroît notre ignorance, et l’univers n’est pas aujourd’hui moins mystérieux qu’au temps d’Homère. Je vois bien que nous sommes embarqués sur une mer infinie : quand nous croyons toucher le bout de l’horizon, voilà un autre horizon qui se lève, et le port n’apparaît nulle part.

Qui ne sent que le merveilleux et l’inconnu ne sont pas seulement dans la nature, mais qu’ils sont surtout en nous-mêmes ? Aujourd’hui c’est dans nos ames, et non plus dans les grottes de Crète, ni dans les forêts des druides, qu’habitent les divinités mystérieuses. Ceux qui évoquent ces immortelles s’appellent Descartes, Pascal, Shakspeare, Leibnitz ; voilà les grands prêtres qui habitent les lieux solitaires et qui écoutent les pas du dieu dans l’enceinte sacrée.

Combien, en outre, ce siècle qui s’attribue complaisamment un génie si exact, est-il moins rassis qu’il se figure l’être ! Parce qu’il s’est débarrassé, pour un moment, du dieu antique, il se croit à jamais émancipé de l’infini et de ses leurres éternels. Mais, déjà, de combien d’idoles n’a-t-il pas repris le joug ? Où l’imagination ne l’a-t-elle pas conduit sitôt qu’elle a voulu ? Est-ce l’exacte mesure des choses, est-ce la seule pondération des forces matérielles qui l’ont mené hier à Arcole, aux Pyramides, à Moscou, à Waterloo ? Napoléon, la philosophie allemande, le catholicisme tantôt abattu, tantôt relevé, de nos jours le saint-simonisme, le fouriérisme, tant d’autres sectes que j’ignore, sont-ce là les preuves de cet esprit à jamais revenu de toutes les illusions de la gloire ou de l’espérance ?

Depuis que partout l’homme s’est substitué à Dieu, on remarque qu’il est devenu triste et incommode à lui-même. Dans le vrai, le gouvernement de l’univers l’embarrasse et l’inquiète. Il n’était pas né pour cette administration de la nature. Sur ce trône si magnifique, ses pensées se brouillent l’une l’autre ; son humeur s’est aigrie. Plus de vers, plus de chants ; il médit de lui-même ; il n’a pris des dieux que le regard sourcilleux, la pesante enclume et le trident. Il leur a abandonné l’ambroisie et les sommes nonchalans. Je conseille à ce sublime parvenu de laisser là son empire usurpé et de rentrer dans sa première condition.

En effet, rassasiés d’eux-mêmes, ils disent que tout est fini, et nous sentons bien au contraire que tout commence. À les croire, la terre serait subitement embarrassée et arrêtée dans son orbite, et nous sentons bien qu’elle se meut sous nos pieds. Tant de découvertes nouvelles dans la matière, de puissances inconnues, qui, cha-