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DE L’UNITÉ DES LITTÉRATURES MODERNES.

Chez lui, les apparences seules sont païennes ; l’ame est toute chrétienne.

Avez-vous jamais considéré, à Rome, de quelque colline éloignée, la coupole de Saint-Pierre ? L’ordre d’architecture, le dôme romain, jusqu’à l’éclat des marbres, au luxe des colonnes, tout vous dit que vous avez devant les yeux un temple païen. Montez les degrés qui mènent au seuil, entr’ouvrez les portes de bronze : vous découvrez d’abord, sous ce toit profane, la croix sur chaque autel, les aubes et les surplis des prêtres. Vous entendez les litanies et le Dies iræ retentir sous ces piliers corinthiens. Mais ce n’est point assez. Avancez encore quelques pas dans l’enceinte. Sous le dôme enlevé au Panthéon, ce sanctuaire de l’idolâtrie grecque et latine, qui trouvez-vous debout en face de l’autel ? L’homme en qui se personnifie par excellence le génie du catholicisme et du moyen-âge, le pape ! Il en est ainsi du siècle de Louis XIV. Ne consultez que les dehors, tout est païen ; pénétrez dans son sein, sous la voûte d’Auguste vous trouvez debout le génie de l’humanité moderne.

Ne serait-il pas étrange, en effet, que l’unité de la civilisation nouvelle ait paru dans la politique, dans l’industrie, dans la guerre même, c’est-à-dire partout, excepté dans l’art ! Au contraire, cette unité s’est montrée avec éclat et pour ne plus disparaître, dès le milieu du moyen-âge. Vers le XIIIe siècle, les élémens plus ou moins opposés du génie des peuples s’étaient réunis et fondus dans un même type. Déjà une même architecture, la gothique, s’était formée depuis les confins de l’Andalousie jusqu’aux extrémités de la Suède. Dans la poésie on vit la même tendance. Les poèmes chevaleresques, fondés partout sur les mêmes traditions, ont revêtu presque la même forme dans toute l’Europe. L’Italie, l’Allemagne, la France, l’Espagne, ne faisaient alors que se traduire l’une l’autre ; en sorte qu’il y eut un moment où tous les peuples modernes eurent la même architecture et la même épopée. Ces deux types, partout les mêmes, étaient, pour ainsi dire, le fond d’une organisation partout semblable, laquelle a pu se prêter plus tard, suivant les temps et les lieux, à des diversités de goût, d’ornemens, de styles, qui n’ont affecté que la surface des arts. Ceci est vrai, surtout de l’architecture ; car ses monumens sont, pour l’histoire de l’humanité, ce que les ossemens fossiles sont pour l’histoire de la nature. C’est par eux que l’on peut, d’un regard, apprécier les analogies des époques, mesurer, constater les différences de l’organisation des peuples dont il ne reste aucun