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leurs armes, et à déchaîner contre ces monarchies absolues leurs armées, leurs escadres et leurs principes. Leur pouvoir serait irrésistible : elles détruiraient irrévocablement tous ces restes d’un ordre social que le temps et les lumières ont miné de toutes parts. L’Italie, les provinces rhénanes, la Pologne, l’Allemagne, la Hongrie, leur offriraient des alliés sûrs et puissans dans tous ces peuples irrités de leur condition présente et impatiens de l’améliorer : l’Europe presque entière serait bouleversée dans ses fondemens.


Il nous reste à traiter une dernière face de la grande question dont nous avons entrepris l’examen. Dans l’opinion d’esprits fort distingués, la neutralité, sinon au milieu de la crise d’Orient, du moins à son début, serait le seul système qui conviendrait à la France ; son intérêt, dit-on, serait de ne point précipiter ses décisions, de laisser la partie s’engager, puis de se faire jour dans la mêlée et de prendre couleur selon les évènemens.

Quant à nous, nous ne saurions admettre un pareil système : nous le repoussons de toutes les forces de notre conviction. Si la France ne veut pas être sacrifiée et la dupe de tout le monde, il faut, ou que les Russes soient contenus dans leurs limites actuelles, ou, s’ils débordent sur le Bosphore, qu’elle compense, par des acquisitions à sa convenance, le développement nouveau de la puissance russe. Le premier but ne peut être atteint que par des résolutions énergiques, promptes, opportunes, de la part de l’Autriche et de l’Angleterre. Or, nulle hardiesse, nulle décision dans le cabinet de Vienne, s’il n’est point assuré de la France ; c’est l’attitude de la France qui décidera de son audace ou de sa timidité. Si nous hésitons, elle tremblera et n’agira point ; elle se conduira comme dans la guerre de 1828. La direction de notre politique extérieure était alors confiée au comte de la Ferronnays. Peu de ministres ont su allier, à un degré aussi éminent, la noblesse de l’ame et l’élévation de la pensée. Long-temps ambassadeur à Saint-Pétersbourg, il avait pu se convaincre que la conquête du Bosphore était une idée fixe dans la politique de cette cour, et que, pour obtenir notre appui, elle était disposée à favoriser l’extension de nos limites jusqu’au Rhin. Lorsqu’elle déclara la guerre aux Turcs, en 1828, l’occasion semblait venue pour les Bourbons de la branche aînée de contracter avec cette puissance une alliance d’ambition. C’était pour cette dynastie un moyen admirable de se nationaliser : elle eût enfoncé de profondes racines dans le cœur du pays, qui lui eût payé en amour sa glorieuse émancipation. Tel était le vœu du comte