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celui d’un appui exclusivement politique, et que nous aurions le droit d’exiger beaucoup plus dans le premier cas que dans le second. Puis, le sort de la Turquie une fois résolu, quels seraient, dans le partage de ses provinces, le lot de la Russie, celui de l’Autriche, celui de l’Angleterre, le nôtre enfin ? À qui écherraient l’Égypte et la Syrie ? Prétendre résoudre d’avance et d’une manière précise de semblables questions, ce serait vouloir usurper le rôle de prophète. À la fortune qui modifie à son gré les évènemens, et aux lumières des cabinets européens, appartiendra la solution de ces grands problèmes. Mais, quoi qu’il arrive, la France ne devra jamais oublier qu’elle représentera auprès de son alliée les intérêts généraux de l’Occident ; que, par cela même qu’elle favorisera le développement de la Russie au-delà du Danube, ce sera, pour elle, un devoir impérieux d’insister plus que jamais pour que la Prusse soit enfin constituée en Allemagne d’une manière puissante, et que l’Autriche ne soit point sacrifiée dans les combinaisons territoriales qui pourront résulter d’un partage de la Turquie. Quant à nos propres exigences, il est évident que l’acquisition des provinces rhénanes ne suffirait plus pour compenser, en notre faveur, les prodigieux accroissemens que notre alliance assurerait à la Russie. Nos prétentions devraient sortir de ces étroites limites. La possession de la ligne du Rhin ne serait alors qu’une condition préliminaire indispensable pour rétablir entre notre puissance territoriale et celle de notre alliée l’équilibre qui a été tout-à-fait rompu à notre préjudice par les traités de 1815. Indépendamment de cette acquisition, nous serions fondés à exiger notre part dans les dépouilles de l’empire ottoman. Serait-ce nous abandonner à de folles idées d’ambition que d’admettre la possibilité de nous assurer l’Égypte à l’aide de notre puissant allié, dussions-nous acheter cette magnifique possession au prix d’une guerre maritime ? En la rattachant, par la conquête des états barbaresques, à l’Algérie, nous nous créerions aux portes de Toulon et de Marseille un empire africain qui deviendrait pour notre patrie une source de grandeur et de richesses incalculables.

Sans vouloir pressentir quelles seraient les conditions précises et les résultats positifs d’une alliance entre la France et la Russie, alliance dans laquelle la Prusse viendrait naturellement prendre place, bornons-nous à dire que sa force serait si prodigieuse, qu’elle ne connaîtrait véritablement point de limites : elle n’aurait qu’un danger à craindre, l’étendue même de son pouvoir et la tentation d’en abuser. Le monde lui appartiendrait.