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AFFAIRES D’ORIENT.

tifs. Dans la guerre de Turquie de 1828, la France n’a pas cessé de prêter à la Russie son appui moral, toute disposée à lui accorder au besoin celui de son épée. La cour de Saint-Pétersbourg, au nom des principes conservateurs de la sainte-alliance et par la peur des révolutions, maîtrisait donc l’Autriche et la branche aînée qui régnait aux Tuileries. Puis, en caressant avec une merveilleuse adresse les velléités ambitieuses du cabinet français, sans lui permettre toutefois de s’y abandonner, elle s’en faisait un auxiliaire contre la cour de Vienne dans la question d’Orient. La France entraînait à sa suite l’Espagne, en sorte que la Russie dominait tout, le Nord et l’Occident. De son sceptre elle atteignait Paris et Madrid, aussi bien que Vienne et Berlin. On peut dire qu’elle a tenu pendant quinze années les rênes du continent.

La révolution de 1830 est venue lui arracher cette redoutable dictature. En émancipant la France de la tutelle des monarchies du Nord, elle l’a forcément jetée dans les bras de l’Angleterre. En prenant sous sa protection les révolutions de Belgique, de Suisse, d’Espagne et de Portugal, elle a distrait tous ces états de la sphère où domine la Russie, et les a successivement rattachés à l’alliance anglaise, en sorte que la cour de Saint-Pétersbourg s’est trouvée atteinte et frappée doublement. Elle a eu le dépit, non-seulement de voir une partie des puissances occidentales se soustraire à son action, mais encore passer sous l’influence de l’Angleterre qui est sa principale ennemie d’intérêts, et lui prêter leur appui dans toutes les questions de politique générale. La révolution de Pologne éclose, comme les précédentes, sous l’action morale de la nôtre, est venue ajouter ses douleurs à l’irritation déjà produite. La Russie n’a pu l’étouffer que dans des flots de sang : la plaie a été profonde, et elle n’est point encore fermée.

Depuis huit ans, un abîme semble séparer la France de la Russie. Si la guerre entre elles n’a point éclaté, ce n’est point la passion qui leur a manqué, mais les moyens de la satisfaire. Les dispositions haineuses, et, plus d’une fois, l’intention malveillante de blesser, ont remplacé à Saint-Pétersbourg les égards et l’amitié que cette cour prodigua pendant quinze ans aux Bourbons de la branche aînée.

Cependant il entre évidemment dans cette animosité encore plus d’orgueil que d’intérêts froissés. La prééminence que la sainte-alliance avait donnée à la Russie sur le continent était un pouvoir passager, un pur accident, résultat d’un ordre de choses lui-même transitoire ; ce n’était pas ce pouvoir réel, saisissant, qui commande, en vertu de sa propre force, et devant lequel tout fléchit et se soumet, tel, par