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LA TERREUR EN BRETAGNE.

En parlant ainsi je dépliais mon passeport ; Claire, surprise, éperdue, baissait la tête, prête à pleurer.

L’officier balançait évidemment entre sa consigne et le désir de faire quelque chose pour la jolie voyageuse.

— Où vas-tu ? lui demanda-t-il doucement.

Elle me regarda.

— Excuse-la, citoyen, répondis-je en riant, elle est timide comme une tourterelle sauvage et ne parle qu’avec la permission de sa mère ; nous allons à la Roche-Bernard, son père est gravement malade et l’attend demain ; si elle n’arrive pas, Dieu sait ce qu’ils vont penser !

L’officier parut réfléchir un instant, et s’adressant de nouveau à Claire :

— Tu dois avoir au moins, dit-il, quelque lettre de ta famille, quelque papier prouvant qui tu es ?

— Non, citoyen…

Il haussa les épaules d’un air contrarié.

— Quel moyen alors de m’assurer que tu vas réellement à la Roche-Bernard rejoindre ta famille ?

Mon embarras devenait extrême. Dans ce moment, un paysan, qui s’était tenu jusqu’alors près du poêle, s’avança vers nous ; je reconnus sur-le-champ le domestique de Joseph Sauveur, qui était venu annoncer, au club de Rennes, la mort de son maître, et que Mme Benoist avait soigné pendant quelques jours.

— Est-ce que vous ne parlez pas de la Roche-Bernard ? dit-il, j’en suis, même que j’y vais porter des dépêches par ordre du département… Voyez plutôt, mon officier.

Et il présenta un papier au chef du poste. Je fus pris d’une sueur glacée ; la rencontre de cet homme était une fatalité qui nous perdait immanquablement. L’officier parcourait le papier présenté par Ivon, puis se tournant vers nous :

— Connais-tu cette jeune fille ? lui demanda-t-il brusquement en désignant Claire.

Le paysan se mit à rire d’un air narquois ; je me sentis froid jusqu’aux cheveux.

— Je sais pas, dit-il ; m’est avis que ç’a pourrait bien être Rose Murin… Tout de même je la trouve un peu changée depuis quatre mois qu’elle a quitté le pays.

— Que veux-tu dire ?

— Oui, autrefois elle reconnaissait les voisins et elle disait bon-