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AFFAIRES D’ORIENT.

sera pour les états de l’Occident et du centre une occasion décisive d’accomplir cette œuvre de régénération. L’Autriche, l’Angleterre, la France, la Prusse, la confédération germanique, toutes, à des titres différens, semblent appelées à y concourir de leurs pensées et de leurs efforts. Il y a là tous les élémens d’une vaste confédération contre la Russie. Si la Suède, entraînée par l’espoir de recouvrer la Finlande et les îles d’Aland, unissait ses forces à cette grande alliance, la guerre, au lieu de rester enfermée dans les étroites limites du Levant, embrasserait un horizon immense ; elle envelopperait la Russie d’ennemis et de périls. Cernée de tous côtés, attaquée sur tous les points à la fois, sur le Danube, dans la mer Noire, en Crimée, à Varsovie, en Finlande, cet empire faiblirait sous les coups d’une ligue aussi formidable. Il serait beau de voir la France se mettre à la tête de toute l’Europe, et la ramener une seconde fois sur le Niémen, non plus comme un pouvoir dominateur qui poursuit, dans l’asservissement de tous, la dictature universelle, mais comme un chef éclairé et modérateur, dirigé par une seule et grande pensée, celle de reconstituer l’Europe sur des bases véritablement solides et durables, de rétablir chaque puissance dans la vérité de son rôle et de sa mission, de sauver l’empire ottoman, et de relever, autour du colosse russe, non plus les barrières fragiles qu’elle a détruites ou ébranlées, mais des barrières nouvelles et si fortes, qu’il lui fût impossible de les abattre. Ce serait là une noble manière d’expier les torts anciens de son ambition, et de se venger des maux qui lui ont été faits.

Mais, pour organiser cette grande confédération, il faudrait tout d’abord enlever la Prusse à la Russie, combinaison délicate et d’une extrême difficulté. C’est à la Russie que la cour de Berlin a dû naguère la restauration de sa puissance ; elle s’est habituée depuis à la vénérer comme l’auteur de sa fortune. Cet empire exerce sur elle tous les genres d’ascendans ; il peut lui faire beaucoup de bien et beaucoup de mal ; compléter plus tard son territoire, ou mettre en péril jusqu’à son existence, selon qu’il aura à payer des services ou à venger des offenses. De nombreuses alliances de famille ont encore cimenté l’union des deux cours, en sorte que la reconnaissance, l’ambition, la crainte, les influences de famille, tous les liens les plus puissans de ce monde, se réunissent pour tenir la Prusse dans la dépendance de la Russie. Il faudrait encore ajouter, si la crise se développait pendant la durée du règne actuel, la timidité naturelle de Frédéric-Guillaume, augmentée par son grand âge et par l’expérience des plus terribles vicissitudes. Ce seraient là de sérieux obstacles ; mais peut-être par-