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côté, aux Dardanelles par leurs escadres, et, au besoin, par des troupes de débarquement, il est évident que les Russes, obligés de lutter à la fois contre les forces de la triple alliance et contre un peuple qui ne combattrait plus seulement pour des provinces éloignées, mais pour son existence même, se trouveraient dans une position extrêmement périlleuse. La Porte, dans une guerre décisive, n’aurait donc pas d’alliée plus efficacement protectrice, et la Russie, d’ennemie plus redoutable que l’Autriche. L’Occident veut-il réellement sauver la Turquie ? Il faut qu’il arme et qu’il précipite, quand le moment sera venu, l’Autriche contre la Russie. Mais si l’énergie de la cour de Vienne était paralysée par l’attitude équivoque du cabinet de Paris, elle ne pourrait plus rien, et la Turquie serait perdue. L’Autriche, de son côté, a un intérêt immense à empêcher la ruine de cet empire ; car, si elle le livrait à la Russie, elle livrerait à celle-ci du même coup sa propre indépendance. Or, elle ne peut conserver la liberté de ses mouvemens contre cette puissance qu’à la condition d’être assurée de l’appui de la France. C’est donc cet appui que la cour de Vienne et celle de Londres doivent obtenir à tout prix.

Des considérations fort graves peuvent assurément nous déterminer à associer nos efforts à ceux de ces puissances ; mais nous ne saurions nous livrer à elles sans conditions. Pour obtenir notre concours, il faut qu’elles comprennent notre situation et se décident à y adapter leurs propres combinaisons. Nous devons nous attacher à faire prévaloir un système qui, dominant leurs intérêts exclusifs et passionnés, les concilie avec les grands intérêts européens et les exigences légitimes de notre politique.

Pour tous les esprits capables de s’élever à des idées générales, l’œuvre du congrès de Vienne est aujourd’hui jugée comme une œuvre de réaction violente et d’imprévoyance. Le respect du passé, les prévisions de l’avenir, les droits de nationalité, les bases d’un sage équilibre, tout a été sacrifié à une seule passion, celle d’abaisser la France et d’élever ses ennemis sur les débris de sa puissance. De toutes les combinaisons sorties de cette célèbre assemblée, les plus funestes ont été l’abandon de la ligne de la Wartha à la Russie, la constitution défectueuse de la Prusse et la destruction de notre ligne militaire du nord-est.

Jamais l’Europe n’aurait dû permettre à la Russie de pousser ses aigles jusqu’à la Vistule, encore moins de franchir cette barrière et de venir asseoir ses frontières à quelques marches de l’Oder,

L’organisation déplorable donnée à la monarchie prussienne a été