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REVUE. — CHRONIQUE.

font très bon marché, qu’ils ne s’en inquiètent nullement, et qu’ils trouvent tout simple de laisser les Prussiens à quelques lieues de Metz. En vérité, M. de Mérode a eu raison de s’adresser à lord Palmerston pour une pareille combinaison ; car, je me trompe fort, ou l’idée d’exposer la France et l’Europe à un ébranlement général pour un aussi chétif résultat, aurait été fort mal accueillie par M. Molé. Oui, monsieur, il faudra peut-être un jour faire la guerre, mais croyez-moi, ce sera pour remanier profondément la répartition actuelle des territoires en Europe, et je veux que nous y trouvions notre compte et je vous laisse à penser si la Belgique y trouverait le sien. Pour moi, je ne le crois pas, et c’est même sous l’influence d’une conviction toute contraire que je vous écris. Les meilleurs amis de la Belgique, dans l’état actuel de l’Europe, seront ceux qui lui donneront le conseil de prévenir par-dessus tout une guerre générale et qui lui diront pourquoi : c’est qu’elle n’y survivrait pas. Elle possède aujourd’hui et elle a su mettre en œuvre tous les élémens d’une grande prospérité ; l’exécution des clauses territoriales du traité du 15 novembre 1831, quelque pénible qu’elle soit, ne porterait à cette prospérité qu’une faible et passagère atteinte. Elle vivra ainsi, libre, heureuse et riche, préservée de tout danger extérieur, pour bien long-temps peut-être, par ce système universel d’ajournement dont fort peu d’esprits ont deviné la puissance, le lendemain de notre révolution de juillet.

Après tout, monsieur, je ne sais pas ce qu’on va faire à Londres ; je ne sais pas quelles instructions peuvent avoir reçues les ministres de la conférence ; je désire qu’elles soient favorables aux prétentions de la Belgique. Mais j’en doute fort ; quant à la question territoriale, je sais toute l’Allemagne très animée contre elle ; je ne puis croire que la Russie veuille imposer au roi de Hollande des conditions plus dures que celles du traité, et l’on m’assure que le changement de dispositions qui s’est manifesté dans le cabinet anglais ne s’étend pas au-delà des modifications purement financières que réclament la justice et l’équité. Sans doute, les dispositions de la France permettraient de compter bien plus fermement sur son appui dans la conférence de Londres ; mais il faudrait ou que la France ne fût pas seule, ou qu’elle fût résolue à jeter au besoin son épée dans la balance. Mais elle ne le fera pas, et j’ajouterai, monsieur, que, si la question ne change point de nature, elle ne doit pas le faire. Je ne parle pas de la foi des traités, et cependant, c’est bien quelque chose ; car n’oubliez pas que la France est engagée envers le reste de l’Europe. Je parle de l’intérêt national, de l’intérêt français, qui ne me paraît pas, en cette circonstance, commander la guerre ; vous me pardonnerez, monsieur, cet égoïsme national ; c’est le droit de chaque nation d’être égoïste, et c’est le devoir de chaque gouvernement. La Belgique exerce son droit et accomplit son devoir, en cherchant à se soustraire aux conséquences du traité des vingt-quatre articles. Ne méconnaissons pas le nôtre, comme nous y sommes trop enclins ; car j’ai entendu avec autant d’admiration que de sur-