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cause de la nationalité belge auprès de lord Palmerston. Et ne croyez pas, je vous prie, qu’un homme de ce mérite n’ait pas été frappé de la bizarrerie de l’expédient qu’il propose. On ne saurait le penser. Mais M. de Mérode a été poussé à son insu par une conviction que partagera tout homme sérieux en Europe, et à laquelle j’essaierais inutilement de me soustraire, c’est que tous les sacrifices faits depuis 1830, par tout le monde, pour maintenir la paix européenne, seraient perdus le jour où l’intégrité de la confédération germanique serait attaquée par le démembrement du grand-duché de Luxembourg, et son adjonction au royaume de Belgique. Et alors, pour éviter la guerre générale qu’il ne désire pas et qu’il jugerait cependant inévitable autrement, M. de Mérode a imaginé cette combinaison, par laquelle Luxembourg resterait forteresse fédérale, au milieu d’un pays tout entier défédéralisé. Mais cette combinaison ne soutient pas un examen sérieux ; la Belgique ne devrait l’accepter ni pour sa sécurité, ni pour son honneur, et la confédération germanique elle-même la repousserait infailliblement comme insuffisante pour ses intérêts, et portant à ses principes constitutifs la même atteinte que le démembrement intégral de la province.

Soyez-en convaincu, monsieur, tout arrangement de la question hollando-belge, qui n’indemniserait point la confédération germanique de la manière qu’elle veut être indemnisée, équivaudrait à la guerre, à cette guerre générale dont personne ne veut, et dont il me semble que la Belgique doit vouloir moins que personne, pour des raisons excellentes et que j’aurai le courage de vous faire connaître, afin que vous le redisiez à la Belgique. Or, la guerre générale, je ne la désire ni ne la redoute, et je ne pense pas qu’on doive tout faire ou tout souffrir pour l’éviter. Mais encore, monsieur, faut-il que la chose en vaille la peine ; et en conscience, ce qui reste à résoudre de la question belge, ce qui fait l’objet du débat entre la Belgique et la Hollande, ce que la Belgique réclamera auprès de la conférence de Londres, ne me paraît pas remplir cette condition. En affaires comme en poésie dramatique, il faut, permettez-moi ce souvenir classique, ut sit dignus vindice nodus. Je m’explique : en protégeant de tout son pouvoir la séparation de la Belgique d’avec la Hollande, la France de juillet a poursuivi un résultat, qui méritait que, pour l’obtenir, on courût le risque de la guerre. M. Molé ne s’y est pas trompé en 1830. Il s’agissait effectivement de rompre, sur une grande étendue de nos frontières, ce réseau de fer, cette ceinture compacte d’hostilités armées dans lesquelles nous avait enfermés le congrès de Vienne. Il s’agissait de détruire ou de neutraliser ces forteresses, bâties avec notre argent, et inspectées annuellement au nom de l’Europe, dont les canons n’étaient tournés que contre la France. Ce but a été atteint sans la guerre ; mais son importance aurait justifié la guerre elle-même, si elle était devenue indispensable. Aujourd’hui je vois bien encore à deux pas de notre frontière la forteresse fédérale de Luxembourg, et assurément ce serait un grand bonheur pour la France que de la pouvoir désarmer. Mais voilà que les Belges eux-mêmes en