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REVUE. — CHRONIQUE.

lerait tout simplement le traité, l’existence nationale de la Belgique, l’état belge, dans le droit des gens européen, eussent été remis en question ; et la Hollande, n’accédant pas au traité, aurait infailliblement conservé, aux yeux de certaines puissances, des droits que maintenant elle n’a plus la faculté d’invoquer vis-à-vis d’elles. En un mot, il y a un royaume et un roi de Belgique pour la Prusse, pour l’Autriche et même pour la Russie, tandis que dans l’autre hypothèse, il n’y aurait très probablement pour ces trois cours que des provinces méridionales et un prince Léopold à leur tête, comme on s’exprime officiellement à La Haye.

Si nous examinons maintenant quelles ont été les conséquences de ce défaut d’engagemens communs entre la Belgique et la Hollande sur le fond du droit, nous trouverons que la première a aussitôt annulé de fait les sacrifices auxquels elle avait consenti en signant le traité des 24 articles. Et en voyant ce que la Belgique a fait et ce que l’Europe a laissé faire, on est conduit à se demander si les cabinets, fatigués de négociations, n’ont pas volontairement fermé les yeux sur les difficultés qu’ils se préparaient pour l’avenir avec une pareille indifférence. En effet, comment la Belgique a-t-elle agi ? Elle s’était constituée en 1830, avant toute négociation, en dehors du droit diplomatique. En 1831, après diverses négociations, son existence est régularisée, elle est consacrée diplomatiquement ; le nouveau royaume, reconnu par l’Europe, mais reconnu sans la moitié du Limbourg et sans la moitié du Luxembourg, entre officiellement dans le système des états européens. Cependant la Belgique demeure organisée, après le traité, comme elle l’était avant le traité. Sa souveraineté continue à s’exercer tout entière sur des portions de territoire dont, à cette époque, et au moins pendant les premiers temps qui ont suivi son adhésion au traité du 15 novembre, elle devait être avec tristesse, mais avec une résignation sérieuse, disposée à se détacher. Il y a plus : aucun acte de sa part n’annonce aux habitans de ces provinces que le gouvernement qui reste chargé de leur administration ne considère cette situation que comme provisoire. Rien n’indique le désir ou la prévision d’un changement prochain, quoique ce changement dût mettre le dernier sceau à la formation de l’état belge et à sa complète reconnaissance par l’Europe ; rien n’est calculé pour disposer ces provinces à leur séparation d’avec la Belgique, et pour les empêcher de se croire indissolublement liées à ses destinées. Tout, au contraire, semble annoncer que la Belgique a cessé de regarder comme obligatoire le traité des 24 articles ; tout conseille aux populations du Limbourg et du Luxembourg de n’en tenir aucun compte ; tout invite les divers élémens de la nationalité belge à resserrer leurs liens, comme si la Belgique elle-même et son roi n’en avaient pas de bonne foi sacrifié une partie pour conserver le reste. On croirait enfin, et peut-être aurait-on raison de croire, que le gouvernement belge a multiplié les obstacles à dessein, pour rendre un jour impossible l’exécution des pénibles engagemens qu’il a été forcé de contracter. L’évènement permettra seul de juger si ce calcul aura été heureux et sage.