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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

tèrent à son commencement. » Mais en supposant que les Français de 1815 aient été assez unanimes sur cette déclaration avec la chambre des représentans (ce que rien ne prouve) pour ne pas être accusés de légèreté, n’était-ce donc pas trop déjà, au point de vue de Lafayette, qu’après avoir été les Français de 89, ils eussent été ceux du directoire, ceux du 18 brumaire, du couronnement et des pompes idolâtriques de l’empire ? N’en voilà-t-il pas plus qu’il ne fallait pour croire encore au vieux défaut national, à la légèreté ? On trouvera peut-être que j’insiste trop sur cette illusion de Lafayette, sur cette vue obstinée et incomplète, selon laquelle il ne cessait de découper dans l’étoffe ondoyante de l’homme et du Français l’exemplaire uniforme de son citoyen. Mais, dans l’étude du caractère, j’injecte de mon mieux, pour la dessiner aux regards, la veine ou l’artère principale. Je veux tout dire, d’ailleurs, de ma pensée : tout n’était pas illusoire dans cette vue persévérante, et pour mieux aboutir à sa fin, il fallait peut-être ainsi qu’elle se resserrât. Lafayette avait attaché de bonne heure son honneur et son renom au triomphe de certaines idées, de certaines vérités politiques ; cela était devenu sa mission, son rôle spécial, dans les divers actes de notre grand drame révolutionnaire, de reparaître droit et fixe avec ces articles écrits sur le même drapeau. Qu’à défaut de triomphe, on ne perdît pas de vue drapeau et articles inscrits, avec lesquels il s’identifiait, c’est ce qu’il voulait du moins. Ce qu’il avait déclaré en 89, il le rappelle donc et le maintient en 1800, il le proclame en 1815, il le déploie encore en 1830 ; et en définitive, août 1830 en a réalisé assez, dans la lettre sinon dans l’esprit, pour que sa vue persévérante ait été justifiée historiquement. Dans sa longue et ferme attente, tout ce qui pouvait être étranger au triomphe du drapeau, et en amoindrir ou en retarder l’inauguration, Lafayette ne le voyait pas, et peut-être il ne le désirait pas voir. Son langage était fait à son dessein. Un précepte qu’il ne faut jamais perdre de vue en politique, c’est, quelque idée qu’on ait des hommes, d’avoir l’air de les respecter et de faire estime de leur sens, de leur caractère ; on tire par là d’eux tout le bon parti possible, et si l’on y veut mettre cette louable intention, on les peut mouvoir dans le sens de leurs meilleurs penchans. Lafayette, qui s’était voué comme à une spécialité au triomphe de quelques principes généreux, a pu ne dire dans sa longue carrière et ne paraître connaître de la majorité des hommes, même après l’expérience, que ce qui convenait au noble but où il les voulait porter. Ç’a été une des