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mer Mac-Lean de renvoyer au plus tôt à son père sa noble prisonnière, le menaçant de toute la colère du monarque, s’il n’obéissait sans délai.

Le château de Duart, solidement bâti sur un roc, était défendu par la nature et par la main des hommes. Il pouvait défier les soldats de Mac-Donald ; mais pouvait-il résister aux efforts du puissant roi d’Espagne ?

— Mac-Lean, il faut que je vous quitte ; autrement je causerais votre ruine, s’écria tristement la jeune princesse en joignant les mains.

— Non, vous ne me quitterez pas, répliqua Mac-Lean de Duart ; mon clan est faible, il est vrai, et les Mac-Donalds n’attendent que l’arrivée des galères du roi d’Espagne, votre père, pour fondre comme un ouragan sur les côtes de Mull ; n’importe, nous tenterons la chance, et si les moyens naturels sont insuffisans pour défendre le château, nous aurons recours aux prodiges.

Mac-Lean alla donc trouver toutes les sorcières qui vivaient dans l’île de Mull, de Tobermory à Achnacraig ; il les séduisit toutes, les vieilles comme les jeunes ; et toutes, soit par amour pour lui, soit par loyauté, soit par reconnaissance des présens qu’il leur avait faits et des divertissemens qu’il leur avait donnés, toutes consentirent à se liguer pour défendre le château de Mac-Lean de Duart et protéger son amante.

Le roi d’Espagne avait résolu cependant de venger l’insulte faite à sa couronne et à sa dignité. Il arma une immense galère dont il donna le commandement à un seigneur espagnol qui connaissait bien l’Écosse, et il l’envoya dans l’île de Mull, lui ordonnant de saisir Mac-Lean et sa fille, et de ravager les domaines de l’insolent Écossais de façon à ce que deux brins d’herbe et deux tiges de bruyères ne restassent pas debout dans la même plaine[1].

Quand le grand navire fut arrivé et eut jeté l’ancre sous le rocher au haut duquel le château était bâti, le capitaine fut effrayé du calme étrange qui régnait autour de lui, sur la mer, sur la terre et dans les airs, et de l’aspect morne et tranquille du château. Les assiégeans ne semblaient pas avoir fait de préparatifs de défense ; rien ne bougeait sous les murailles, ou entre les créneaux du château qui ne paraissait pas même habité. Nous avons dit que l’amiral espagnol connaissait l’Écosse ; inquiet de ce calme, il se promenait à grands pas sur le pont du navire ; se tournant tout à coup du côté d’un mousse.

— Monte au sommet du grand mât, et dis-moi ce que tu vois autour du navire.

— Seigneur, je vois un corbeau noir, cria l’enfant quand il fut arrivé au haut du mât, un corbeau qui vole en tournoyant autour de la pointe la plus élevée du rocher.

— Ce n’est rien, dit le capitaine, et il continua à se promener comme auparavant, tout en ordonnant à son équipage de se préparer à l’attaque. Un

  1. And to burn the territory of duart so bare that there should two blades of grass, or two blossoms of heather within cry of each other.(Chronique de Ritchie. Scotland, p. 132)