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tous les poètes, ont beaucoup embelli l’histoire. Voici, en résumé, le merveilleux récit :

Pendant le règne d’un des Mac-Donalds des Îles, une princesse espagnole, attirée par la haute renommée du saint monastère d’Iona, se rendit en pèlerinage dans cette île pour faire un vœu à saint Columba ou Colum. Un vent favorable poussa sa galère des côtes d’Espagne dans les Hébrides. En voyant la belle étrangère assise sur le pont de son navire qui glissait le long des plages sauvages de Mull et de Staffa, les chefs des montagnes croyaient à une apparition de la déesse de la beauté ; et cependant cette beauté était toute nouvelle pour eux. Les filles de leurs montagnes avaient la peau blanche comme la neige, les cheveux dorés, les yeux bleus ; un sang vermeil circulait dans leurs veines azurées, et leurs pieds étaient aussi légers que le pied de la biche ou du chevreuil. Ses yeux et ses cheveux étaient noirs comme la nuit, son teint avait la couleur du blé mûri par le soleil de juin et détaché de son épi, et son sang, profondément caché sous la peau, teignait rarement d’une pourpre légère ses joues pâles et brunes. Quant à sa démarche, elle était aussi molle, aussi languissante que celle des filles des montagnes était vive et emportée. Les jeunes seigneurs des îles ne savaient s’ils devaient s’étonner ou admirer.

— Qu’elle est brune et noire ! disait l’un, sans doute elle vient de la Nigritie !

— A-t-elle jamais marché ? disait un autre ; j’en doute fort, et quand même il s’agirait de sauver sa vie ou celle de son père, elle ne danserait pas un reel.

— Et cependant par momens elle semble si légère, qu’on dirait que, comme saint Pierre, elle veut marcher sur les eaux, ajoutait un troisième.

Tous éprouvaient donc un grand trouble au fond de l’ame ; le sommeil fuyait leurs paupières, et voyant l’inconnue passer sous les murs de leurs châteaux, ils lançaient leurs barques à la mer et s’efforçaient de suivre sa galère.

— Nous sommes ensorcelés, disaient-ils en ramant ; mais n’importe, il faut faire cesser le charme ou noyer la magicienne.

De tous ces lords, Mac-Lean de Duart était le plus beau et le plus brave. Au lieu de noyer la belle sorcière, il aima mieux chercher à triompher de ses enchantemens. Mac-Lean était courageux, et l’œil d’une femme, qu’il fût noir ou qu’il fut bleu, que cette femme fut une vassale ou une princesse, l’œil d’une femme ne l’avait jamais effrayé. Comme l’Espagnole passait sous les tours du château de Duart, le jeune lord, à l’exemple de ses compagnons, mit à la mer son canot, et suivit la belle princesse, ne quittant pas le sillage de sa galère. Il attendait la nuit pour monter à bord, quand un coup de vent furieux s’éleva ; Mac-Lean s’élança donc de son canot sur le pont du navire, et, comme l’esprit de la tempête, paraissant tout à coup aux yeux de l’Espagnole, il offrit de lui servir de pilote sur ces mers orageuses.

Quand la princesse vit debout devant elle le grand et noble Highlander qui