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on traverse le Glen-Kinglass, petite vallée très solitaire et très sauvage, et l’on est charmé en arrivant au bord du Loch-Fine, au-delà du Glen-Fine, de retrouver un pays bien cultivé, et ce qui est plus merveilleux, de retrouver de grands arbres : ce sont les domaines qui entourent le parc et le château du duc d’Argyle. La Shira et l’Ary, que l’on passe sur de beaux ponts dont le dernier est tout neuf, arrosent cette belle contrée ; au-delà de ce deuxième pont et sur les bords du lac, est bâtie la ville d’Inverary, capitale du duché d’Argyle.

Si le Loch-Fine est l’un des lacs les plus pittoresques de l’Écosse, Inverary en est une des plus jolies villes. Ses maisons, neuves la plupart, s’étendent en demi-cercle sur la rive du lac, qui, au nord de la ville, découpe une baie profonde. Dans cette espèce de port naturel sont amarrés les nombreux bâtimens qui font la pêche du hareng sur le lac. Ces harengs, à ce qu’on nous assura, sont supérieurs à ceux que l’on pêche dans les autres contrées de la Grande-Bretagne. Pendant la saison de la pêche, c’est-à-dire pendant six mois au moins, de juillet à janvier, quatre cents bâtimens sont occupés sur le Loch-Fine à la seule pêche du hareng, et recueillent quinze à vingt mille barils de poisson, qu’on exporte dans tout le royaume. Il faut que les eaux du Loch-Fine aient un puissant attrait pour ce poisson, car, malgré la rude chasse qu’on lui fait annuellement, jamais, depuis plusieurs siècles, il n’a manqué de visiter périodiquement la baie d’Inverary. Aussi cette ville a-t-elle pris pour armes un poisson dans un filet. Ces armes sont bien choisies, car je n’ai jamais vu autant de poissons et de filets qu’à Inverary.

Inverary, depuis quatre siècles, a été la principale résidence de la puissante famille des ducs d’Argyle ; c’est là que leur château est bâti. Il consiste en un grand et imposant édifice de forme gothique, qui rappelle, sur de plus petites dimensions, l’architecture du palais de Windsor, et qui ne date cependant que du dernier siècle. Le principal corps de bâtiment est flanqué de grosses tours aux quatre angles. Ces tours, comme le reste de l’édifice, sont construites avec une espèce de granit d’un bleu d’ardoise. L’aspect sévère et majestueux que donne à l’habitation des ducs d’Argyle la couleur sombre de ce granit est du reste parfaitement en harmonie avec le paysage qui l’entoure. L’intérieur du château répond aussi à son extérieur ; ses vastes salles, revêtues de boiseries armoriées, sont ornées d’attributs militaires et de trophées disposés avec goût. Une magnifique galerie conduit des salles d’armes aux appartemens des seigneurs. Ces appartemens sont décorés avec une magnificence vraiment royale. Quelques-uns des ducs et des marquis d’Argyle ont aimé et protégé les arts : aussi trouve-t-on dans les galeries du château un assez grand nombre de tableaux. Les seuls remarquables sont des portraits de famille, les portraits du comte d’Argyle, qui eut la tête tranchée sous Charles II, et de l’infortuné marquis qui périt sous Jacques VII, du supplice de la maiden (guillotine). On voit encore dans les petits appartemens du château d’assez bons paysages de Williams et de Nasmyth. Enfin, les tapisseries qui revêtent la muraille du salon principal sont aussi de fort curieux