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regarderait pas comme volé, et ne poursuivrait jamais le voleur. Cette promesse d’impunité était encourageante pour les amateurs ; les gazettes répandirent dans tout le Royaume-Uni l’étrange défi de lord Berkeley, et comme dans ce temps-là les voleurs de grands chemins étaient à peu près aussi communs que les filous le sont aujourd’hui, lord Berkeley se vit bientôt en butte aux attaques des plus déterminés d’entre eux. Les bandits mirent, du reste, une sorte de point d’honneur à accepter les conditions de l’espèce de duel que lord Berkeley avait proposé, et à ne l’attaquer que seul à seul. Mais tous ceux qui tentèrent de surprendre le lord, toujours sur ses gardes, payèrent chèrement leur témérité ; il tua les uns, estropia les autres ; aussi les voleurs n’osèrent-ils plus s’attaquer à un si rude jouteur. Vers ce temps-là, sir Joseph Banks, revenant de visiter l’Islande, découvrit et rendit fameuses les grottes basaltiques de Staffa. Lord Berkeley, grand amateur de voyages, eut envie de visiter ces grottes, et par occasion de faire un tour en Écosse. Or, à cette époque, les montagnes du Lochaber et du duché d’Argyle étaient exploitées par un fameux voleur de la race de Rob-Roy, qui se réfugiait, comme lui, au milieu des rochers et des montagnes du centre de l’Écosse, et que, jusqu’alors, les soldats du fort William, d’Inverary ou de Glasgow, n’avaient pu prendre. Ce brigand avait eu connaissance du défi de lord Berkeley, et il fut averti, par un de ses camarades de Glasgow, que ce seigneur devait quitter cette ville, tel jour, à telle heure, pour se rendre par Inverary dans les îles. Mac-Quarry, c’était le nom du brigand, monté sur un des petits chevaux du pays, attendit lord Berkeley sur la route d’Inverary. Vers le soir il aperçut la voiture du lord qui longeait les rives du Loch-Lomond. Il prit les devans, descendit de cheval et se plaça au bord du chemin, dans la partie la plus sauvage et la plus déserte du défilé ; il était nuit quand lord Berkeley arriva à l’endroit où le bandit était embusqué, et comme depuis long-temps il n’avait pas été attaqué, et que, d’ailleurs, il ne voyageait plus en Angleterre, il ne se tenait pas sur ses gardes, et il s’était endormi au fond de sa chaise de poste. Tout à coup il est réveillé en sursaut par la voix d’un homme qui lui présente le bout d’un pistolet, à deux pouces du visage, en lui disant poliment : — Milord, la bourse ou la vie ? — Dieu me damne, je suis pris ! s’écrie le lord, en mettant la main dans la poche de son habit, comme pour chercher sa bourse. — Oui, vous voilà pris, et bien pris ! et c’est Mac-Quarry seul qui a dévalisé lord Berkeley, reprend le voleur avec un accent d’orgueilleuse satisfaction. — Ah ! pour cela, tu en as menti, lui dit froidement le lord, et sois bien sûr que je ne te donnerais pas mon argent, si dans ce moment je ne voyais pas un de tes camarades derrière toi. — Impossible ! s’écrie le voleur, et il se retourne machinalement pour voir qui est là. Lord Berkeley saisit ce moment ; au lieu de sa bourse il tire rapidement un pistolet de sa poche et brûle la cervelle au bandit. Depuis on n’essaya plus de le voler.

À Tarbet, la route quitte la rive du Loch-Lomond, et tourne à l’ouest ; nous dîmes adieu au lac des îles flottantes, des vagues sans vent et des poissons