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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

long-temps pour imprenable. Ce fut la dernière des forteresses de l’Écosse qui tint pour la reine Marie à l’époque des guerres civiles. De nos jours Dunbarton faillit acquérir une grande et fatale renommée, quand le cabinet anglais, docile instrument des rois coalisés, au lieu d’un asile qu’il réclamait donnant une prison au héros qui se confiait dans la foi britannique, hésita entre Sainte-Hélène et la vieille forteresse écossaise. Sainte-Hélène fut choisie ; la prison était plus sûre, l’effet qu’on en attendait plus certain ; et puis à la façon dont les rois allaient gouverner, ce n’était pas excès de prudence de leur part de mettre toute la largeur de l’Océan entre Napoléon et la sympathie des peuples. Aujourd’hui Dunbarton n’est plus qu’une grande manufacture d’étoffes de laine, de toiles et de carreaux de vitres ; et au lieu de batailler contre le gouvernement comme au temps de la reine Marie, cette ville verse pacifiquement, dans ses caisses, une quarantaine de mille livres sterling de revenu.

Une charmante route, qui remonte le val de Leven, conduit de Dunbarton au Loch-Lomond. Cette route longe les flancs de collines agrestes et traverse plusieurs jolis villages. Dans l’un de ces hameaux, à Dalquharn-House, s’élève une belle colonne toscane surmontée d’une urne antique. Une longue inscription qui commence par ces mots Sta viator, couvre une table de marbre placée à la base de cette colonne ; nous nous arrêtâmes pour l’examiner, et l’on nous apprit que ce monument avait été élevé à la mémoire de Tobias Smollett, dans son hameau natal, par James Smollett de Bonhill, son cousin. Le célèbre docteur Johnson est l’auteur de cette inscription qui contient toute une oraison funèbre en une trentaine de lignes et qui est un modèle du genre. Un magnifique château de construction gothique (gothique moderne), situé sur une éminence, entouré de belles pelouses, où de grandes plantations d’arbres dessinent de riches massifs, se montrait à notre gauche, à un quart de mille de la route ; c’est le château de Tillichewn, propriété de M. Harrocks. Non loin de ce château nous passâmes le Leven au gué de Balloch. Au-dessus de ce gué et à la sortie des eaux du lac, s’arrêtent les bateaux à vapeur qui viennent prendre les passagers de Dunbarton ou de Glasgow. En attendant le départ de ces bateaux, nous montâmes sur les collines du voisinage ; la vue qu’on découvre de là est fort belle : d’un côté le val de Leven, Dunbarton et la Clyde couverte de voiles ; de l’autre, le Loch-Lomond de Balloch au pied du Ben-Lomond, qui, vers le nord, élève fièrement sa tête chauve[1]. La forme de cette montagne a quelque analogie avec celle du Righi vu des environs de Schwitz : la hauteur est à peu près la même, et si le Ben-Lomond paraît plus élevé que le Righi, c’est qu’il est plus isolé. La navigation sur le lac est délicieuse ; on passe entre des îles revêtues, la plupart, de bois touffus et où l’on voit errer de grands troupeaux de che-

  1. En langue gallique Llumonwy, la montagne chauve. Les Écossais l’appellent aussi King of hills, roi des montagnes.