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se révoltait contre don Emmanuel de Monga, envoyé pour réclamer le droit de quarta dogana qu’elle refusait de payer, et le forçait de couper précipitamment le câble de sa galère pour échapper au sort qui le menaçait.

Les traités et les droits de succession ayant fait passer la Sicile des mains de Victor-Amédée, dans celles de Philippe V, de l’empereur Charles VI, et de l’infant don Carlos qui prit le nom de Charles III, l’administration de la Sicile passa à Naples où elle est encore. Le roi qui bâtit à Naples les châteaux de Caserte, de Portici, de Capodimonte, de Persano, l’immense bâtiment de l’Alberghi de Poveri, le palais Maddaloni, dota aussi la Sicile, et surtout Palerme, de magnifiques établissemens. Tanucci, son ministre, était pénétré des meilleures intentions. Celles du roi, à l’égard de la Sicile, n’étaient pas moins bonnes, et l’on voit à Palerme, dans le palais des vice-rois, un monument de l’esprit de justice qui l’animait. Ce sont deux béliers de bronze, ouvrage des Grecs, qui étaient autrefois placés dans le port de Palerme, disent les traditions populaires, et qui rendaient des sons par lesquels on reconnaissait les différens rumbs de vent. On fit transporter ces béliers à Naples ; mais ayant appris que les Palermitains se plaignaient de cet acte, Charles III les fit reporter où ils sont encore, en disant qu’il n’était pas roi de Sicile pour la dépouiller.

L’esprit de justice était cependant si peu avancé en Sicile, que les barons exerçaient leurs priviléges exclusifs du four, du moulin, de la vente des vivres, du droit de posséder des auberges, sous le nom naïf d’angarici, vexations, et qu’ils avaient obtenu du même roi Charles II un décret que renouvela Ferdinand III, par lequel toute poursuite était interdite aux créanciers qui possédaient des soggiogazioni, c’est-à-dire des hypothèques perpétuelles sur les terres féodales. Dans le même temps, les nobles obtenaient, en France, contre leurs créanciers, ce qu’on nommait des arrêts de surséance ; mais ces arrêts étaient individuels et exceptionnels, tandis que le décret de Charles III était une autorisation de banqueroute frauduleuse, qui ruina presque toute la classe moyenne, dont les revenus consistaient principalement en rentes hypothécaires. Au reste, la Sicile n’offrait que la reproduction, peut-être exagérée, de l’état social en France. Les fiefs étaient soumis au privilége des fidéi-commis, et un majorat existait dans toutes les familles nobles. Les aînés héritaient des terres, et les cadets servaient sur les galères de Malte, ou entraient