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LA TERREUR EN BRETAGNE.

Je courus chez le commandant, mais les chouans étaient arrivés avant moi… Ils étaient partout, si bien que je m’en revins à la maison, où je trouvai le père du citoyen Joseph, qui était au lit, parce que la goutte l’empêche de marcher. — Mon fils ! qui me dit dès que je parus. J’avais tant envie de pleurer que je ne pus pas lui répondre. — Ils l’ont tué… Je lui fis signe que oui. Il ne répondit rien, et il ferma les yeux… Au bout d’un instant, cependant, il me dit tout bas : — Comment ça s’est-il passé ? Je lui racontai la chose à peu près. Pendant que je parlais, ses cheveux blancs se hérissaient sur sa tête, et quand j’eus fini, il fut plus d’une heure sans parler. Deux ou trois fois je m’approchai, croyant qu’il était mort… Enfin, vers le matin, il se dressa sur son séant, et me dit : — Il ne faut pas attendre le jour ; pars pour Rennes… Tu diras ce qui est arrivé… Alors il m’a donné cette lettre, je suis parti et me voilà.

En parlant ainsi, le paysan présenta au président un papier souillé de sueur et de sang, celui-ci lut d’une voix ferme :


« Le citoyen Sauveur à la société patriotique de Rennes.

« FRÈRES ET AMIS,

« La Roche-Bernard est au pouvoir des brigands. Mon fils a fait son devoir ; il est mort à son poste, et les barbares n’ont pu atteindre à la hauteur de l’ame d’un vrai républicain.

« Salut et fraternité,
« Sauveur. »


La lecture de cette lettre fut suivie d’une rumeur difficile à décrire. C’était comme une exclamation prolongée, dans laquelle dominait tour à tour l’admiration, la douleur ou la colère, et qui, grossissant de proche en proche, éclata bientôt en imprécations. Les amis du président assassiné (et ils étaient en grand nombre) étendaient les mains vers la foule, en l’appelant à la vengeance. En un instant des pistolets, des poignards cachés, brillèrent dans toutes les mains, et l’on entendit retentir les cris :

— À la Roche-Bernard ! Mort aux brigands !… Avertissons le représentant du peuple… Carrier… chez Carrier !

La foule s’élança vers les portes, et, au bout de cinq minutes, la salle fut vide. Le paysan blessé avait été oublié dans cette sortie tumultueuse. Épuisé de fatigues et d’émotions, il venait de tomber