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répond tranquillement. — Cachez-vous vite, cachez-vous vite, alors que je m’écrie. — Non, s’ils ne me trouvaient pas, ils se vengeraient en massacrant toute ma famille ; il faut que je tâche, au contraire, de les éloigner de la maison, aussi je vas sortir.

Pendant qu’il me disait cela, on continuait toujours à défoncer la porte en bas et à crier : À mort, Sauveur ! à mort le bleu ! — Tu entends, qui me dit ; ils sont pressés, faut pas les impatienter, et il descend. Quand ils vont m’avoir, qu’il ajoute, ils ne s’occuperont que de moi ; profite de ce moment pour courir chez le commandant, dis-lui de rassembler le plus d’hommes possible et de sauver la ville, si ce n’est pas trop tard.

Il était arrivé en bas, et il commença à tirer les verroux. Les chouans entendirent qu’on ouvrait la porte, ils reculèrent ; mais dès que le citoyen Joseph parut, ils se mirent à crier tous ensemble : À mort ! à mort ! … — Amenez-moi à vos chefs, dit le citoyen sans se déconcerter. — Il faut le faire crier vive le roi ! — Oui, oui. — Il faut qu’il abatte l’arbre de la liberté. — C’est cela, et allons donc… — Amenez-le sur la place.

Les plus enragés l’avaient pris au collet, jeté par terre, et le traînaient la tête sur le pavé. Lui les laissait faire sans rien dire, parce que ça les éloignait de sa maison. Quand il fut arrivé sur la place, ils lui ordonnèrent de crier vive le roi ! Il leva la main et cria de toutes ses forces : Vive la république ! … On le frappa à coups de crosse sur la tête et partout ; mais plus on frappait, plus il répétait : Vive la république ! — Attendez, je vais le faire se taire, moi, dit un chouan, et il lui tira un coup de pistolet dans la bouche, à bout portant !… Le citoyen Joseph tomba et resta comme mort ; mais bientôt il se redressa sans même faire entendre un soupir et tira de son sein quelque chose qu’il embrassa. — C’est sa médaille civique, qu’ils crièrent tous ; il faut qu’il la donne. Alors ils se jetèrent sur lui comme des loups enragés ; il y en eut un qui lui tira un coup de fusil dans les yeux, un autre qui lui coupa trois doigts avec un couteau de chasse. Mais il tenait toujours sa médaille sans rien dire. Ils ne savaient plus comment lui faire du mal, lorsque tout à coup un d’eux se mit à crier : — Tenez, tenez… du feu… C’était l’arbre de la liberté qui avait été abattu et qu’on brûlait. Tous jetèrent de grands cris de joie ; ils traînèrent le citoyen Joseph jusqu’au brasier et le poussèrent dedans. Je fermai les yeux pour ne plus voir… Je sentis une odeur de chair brûlée,… puis je les entendis qui disaient : — Bon… il est roussi, et ils s’en allèrent…