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qu’à ordonner la démolition de leurs forteresses. C’était s’attaquer au cœur même de la féodalité ; mais ce grand prince portait une ame assez haute pour soutenir une telle lutte. Ses démêlés avec Rome, d’où naquirent les Guelfes et les Ghibelins, sa croisade en Terre-Sainte, ses guerres contre les Sarrasins d’Afrique, ne l’absorbèrent pas tellement qu’il perdît de vue la réforme législative qu’il voulait établir en Sicile, et il en fixa les bases au milieu d’un parlement qu’il tint à Melfi, où le fameux Pierre Desvignes, son chancelier, l’auteur présumé du livre de Tribus impostoribus, promulgua la nouvelle constitution sicilienne.

Frédéric était empereur, et il fit déclarer solennellement à la diète de Francfort que le royaume de Sicile était indépendant de l’empire, et ne ressortissait d’aucune manière de la jurisdiction impériale. Ces temps de la maison de Souabe furent pour la Sicile l’époque de la justice ; les arts et les lettres jetèrent en même temps un vif éclat, et le règne de Frédéric créa en quelque sorte une troisième civilisation, qui affaiblit les traces des dominations arabe et normande. Le système municipal s’établit aussi sous Frédéric en Sicile, système fort et complet, opposé par l’empereur au despotisme des barons, mais qui ne tarda pas à s’affaisser sous ses successeurs. Ces principes furent consacrés dans les parlemens de Foggia et de Lentini, où furent admis quatre prudhommes par ville et deux par village. Ceci se passait en un temps où les communes n’étaient encore guère représentées en Europe. Quant aux parlemens, la Sicile était, en quelque sorte, leur terre natale. Ils y étaient établis au temps des Grecs, et Thucydide rapporte que, lorsque les Athéniens se présentèrent pour la seconde fois en Sicile, les députés des villes s’assemblèrent pour délibérer sur la défense commune. Sous les Romains, le conventus était la convocation de tous les syndics communaux dans quatre villes, Palerme, Syracuse, Lilibée et Messine. Ce fut un parlement qui déclara roi le comte Roger, en 1129, à Palerme, parlement tout sicilien, qui s’assembla de nouveau à Palerme. Après la mort de Guillaume Ier, un parlement délibéra de la régence et de la minorité ; un parlement s’assembla pour régler les droits de Constance, femme de Henri, et les parlemens convoqués par Frédéric ne furent que la suite de ceux-ci. Voilà pour la vie politique.

Sous les Normands, les Siciliens étaient divisés en sept classes, dont on retrouve encore les traces : les vilains ou attachés à la glèbe, les colons ou paysans, les bourgeois, les soldats, les barons et les comtes. Les vilains, attachés à la glèbe, étaient pour la plupart