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LA SICILE.

grand comte Roger, qui a tout apporté en Sicile, foi chrétienne, institutions, liberté, indépendance, sécurité, et tout ce qui fait la gloire comme la vie des peuples.

Les Sarrasins étaient une nation tenace. Il fallut huit cents ans pour les chasser de l’Espagne, et quatre siècles pour les expulser de la Sicile. Les Normands, ce peuple aussi brave, aussi fier, aussi pieux, aussi féroce et aussi héroïque que les Sarrasins, débarquèrent en Sicile au temps de la plus belle époque de la domination musulmane. Les Sarrasins avaient conclu la paix avec les Grecs et avec les Siciliens, qui, tout vaincus qu’ils étaient, défendaient encore leurs droits les armes à la main, race aussi persévérante que belliqueuse, et tout-à-fait digne de figurer dans cette lutte dont l’étroite Sicile était le théâtre. Ce fut alors que la guerre éclata entre les dominateurs. Apolofaro, roi sarrasin, et son frère Apocapo, marchèrent l’un contre l’autre et se défirent mutuellement en plusieurs batailles. Un Grec de Constantinople jugea le moment favorable pour attaquer et abattre la puissance musulmane. Il fit appel aux troupes grecques qui étaient dans la Pouille, s’adressa aux princes d’Italie, leur demanda des armes et des hommes de guerre, et bientôt il vit arriver Guillaume Bras-de-Fer, Robert Guiscard, et leurs frères normands, qui étaient venus chercher les aventures en Italie, et qui s’étaient déjà rendus si fameux. On trouve en Sicile d’admirables chroniques sur cette époque. La prise de Messine par les Normands, où Guillaume Bras-de-Fer tua de sa main, sur le rempart, Arcadio, le gouverneur sarrasin, et le siége de Messine par les Sarrasins, qui furent surpris dans leur camp pendant une de leurs fêtes, la mésopentecôte, égorgés au milieu de leurs festins, sont des légendes dignes de l’Arioste par leurs hauts faits presque fabuleux, et qui font bien pâlir les couleurs des poèmes du Tasse.

En 1063, où les historiens montrent la conquête du pays comme terminée après de longues guerres, les Sarrasins et les Arabes, au nombre de trente mille hommes, se présentaient devant les Normands, à peu de distance de Cérami, ville du Valdemone, située à la pointe d’une flèche de rochers, comme la plupart des cités de l’intérieur de la Sicile. Ce fut encore une terrible bataille, et le grand comte Ruggiero, avec ses Normands, inférieurs en nombre, l’eût sans doute perdue sans le grand saint George, qui apparut tout à coup au milieu des escadrons chrétiens, couvert de belles armes, monté sur un cheval blanc, et dont la soubreveste blanche était traversée d’une croix écarlate. Aussi, depuis cette bataille, Ruggiero fit inscrire sur sa