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et ne paraissant dans les villes que pour accomplir des œuvres pieuses et de saints pèlerinages. Il parlait peu, mais avec sagesse ; il ne semblait prendre aucun intérêt aux choses de la terre et ne pouvait plus goûter d’autres joies ni ressentir d’autres douleurs que celles d’autrui. Il était expert à soigner les malades, et, quoiqu’il fût avare de conseils, ceux qu’il donnait réussissaient toujours à ceux qui les suivaient, comme si la voix de Dieu eût parlé par sa bouche. On venait de le trouver mort, prosterné devant le tombeau du prophète. Son cadavre était étendu au seuil de la mosquée, les prêtres et tous les dévots de l’endroit récitaient des prières et brûlaient de l’encens autour de lui. Je jetai les yeux, en passant, sur ce catafalque. Quelle fut ma surprise lorsque je reconnus… devinez qui ?

— Orio Soranzo ! s’écrièrent tous les assistans.

— Allons donc ! je vous parle d’un adolescent ! C’était ni plus ni moins que ce beau page qu’on appelait Naama ; vous savez ? celui qui suivait toujours et partout messer Orio Soranzo, sous un costume si riche et si bizarre !

— Voyez un peu ! dit le premier bourgeois ; il y avait beaucoup de mauvaises langues qui disaient que c’était une femme !


George Sand.