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REVUE. — CHRONIQUE.

qui lui est arrivé dans la discussion des chemins de fer et dans celle du crédit d’Alger. Dans cette dernière discussion, l’éloquence de M. Berryer a même été malheureuse, et elle a attiré à la restauration, de la part de M. Molé, un procès dont s’est mal tiré, contre son habitude, l’habile avocat de la dynastie déchue.

M. Berryer avait débuté en accusant l’administration, en lui demandant de préciser le but qu’elle se propose en Afrique, ce que M. Molé venait de faire quelques momens auparavant, et en des termes d’une clarté parfaite. M. Berryer lui-même indiquait ce but en établissant la question d’Orient sous son véritable jour, question dans laquelle ne pouvait s’engager le ministre des affaires étrangères. Si M. Berryer s’en était tenu là, il aurait pu faire quelque impression sur la chambre ; mais la restauration n’eût pas été satisfaite, et il fallait la montrer bien supérieure à la monarchie de juillet dans cette question d’Afrique. M. Berryer a donc fait l’historique secret de la conquête de 1830 ; il a cité un rapport fait au roi par le ministre de la guerre, le 14 octobre 1827, où l’on établissait le droit de conquête en Afrique, et où, il faut le dire à l’honneur de ce ministre, on déclarait que le but de la France était d’obtenir un jour, d’une manière stable, la limite du Rhin à la cime des Alpes. M. Berryer affirme que l’alliance russe pouvait seule nous donner ces limites. Nous ne le contestons pas ; mais on sait où nous menait l’alliance russe. La France aurait-elle voulu payer de sa liberté ces limites du Rhin ? Voici la question véritable. Eût-elle accepté une étendue de territoire en échange des ordonnances de juillet ? Nous convenait-il d’être un plus grand peuple que nous ne le sommes, mais d’être un peuple asservi ; de perdre en dignité humaine, en grandeur morale, ce qu’on voulait nous faire gagner en développement territorial ? La France avait refusé mieux de la main de Napoléon ; elle avait salué avec joie Louis XVIII, qui revenait de l’exil, ne lui apportant ni grandeur, ni gloire, et dont le retour la privait des conquêtes qui lui avaient coûté vingt-cinq ans de combats et un million de ses enfans, morts dans les batailles. Elle lui avait tendu les bras, parce qu’il rapportait la liberté, car elle savait que la liberté lui rendrait un jour sa grandeur. Au contraire, la France a chassé Charles X au moment où il venait de lui donner la capitale d’un empire en Afrique. La gloire d’Alger n’a pu sauver sa couronne, et la France, qui venait de rompre avec son souverain et de faire un si grand acte d’énergie, n’a pas hésité à reconnaître les traités de 1815. L’alliance anglaise, c’est le maintien de la liberté en Europe pour tous les peuples qui l’ont acquise, la ligue des constitutions. Gardons ce que nous avons, les limites du Rhin viendront quand elles pourront ; mais défions-nous des conditions auxquelles on nous les offrirait.

M. Berryer, entre autres talens, en a un qui lui est propre, c’est de grouper tous les genres de mécontentemens, et de les faire servir à sa cause. Ainsi, le général Bugeaud n’avait pas le matériel nécessaire, et nous avons vu que le général se trouvait trop pourvu. Le maréchal Clausel manquait de tout, et on lui avait fait une mortelle injure en lui envoyant, au moment de l’expédition de Constantine, un général, pour le suppléer au besoin. Ce gé-