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vraiment fabuleuse des soldats qui y ont péri. Il y a une Afrique encore plus meurtrière et plus terrible que celle où nous nous sommes établis, une Afrique où le soleil dévore plus ardemment, où les maladies tuent plus vite : c’est l’Afrique de M. Desjobert, c’est celle dont il a déroulé le tableau devant la chambre. Aussi ne veut-il donner ni un homme, ni un écu pour garder cette Afrique-là. Peu lui importe que nous ayons des ports dans la Méditerranée, en face de Toulon, en face de l’Espagne, en face des Baléares, et vis-à-vis de la Sardaigne. M. Desjobert trouve le port de Toulon assez grand pour nos besoins maritimes, et la question d’Orient, comme toutes les autres questions extérieures, ne dérange pas sa préoccupation particulière. C’est à un degré plus élevé l’esprit de localité, qui domine l’honorable député. Les uns s’élèvent de la commune à la préfecture, les autres élargissent le cercle de la préfecture au département ; de plus hardis étendent leurs vues jusqu’au bassin ; M. Desjobert embrasse tout l’intérieur de la France. C’est beaucoup, c’est énorme, mais pas encore assez. Alger coûte de l’argent et des hommes à la France ; donc tout serait dit en abandonnant Alger. M. Desjobert a terminé son discours en disant que si l’on supprimait l’impôt du sel et Alger, dans la dernière chaumière on s’écrierait : Vive Alger ! Ce serait là, en effet, un propos de chaumière. Sans doute, on trouve souvent beaucoup de bon sens dans les chaumières ; mais on doit trouver quelque chose de plus dans une chambre des députés. Un peu de prévision et de science politique n’y sont pas superflues, et si l’on parvient sinon à supprimer, du moins à diminuer l’impôt du sel, comme nous le désirons, il faut espérer que ce sera à l’occasion de quelque évènement plus favorable à la dignité de la France que ne le serait l’abandon d’Alger.

Ce n’est pas non plus à M. Piscatory qu’on donnera l’épithète d’Africain, que M. Duvergier jette avec ironie aux partisans de la colonisation. Il veut, il est vrai, l’occupation des côtes, mais afin que nos 50,000 hommes soient tout prêts à se rembarquer au premier coup de canon qu’on entendra en Europe. Singulier procédé pour améliorer la situation des dominateurs d’un pays conquis, et pour consolider leur puissance, que de les tenir un pied dans l’eau du rivage ! Toutefois M. Piscatory ne ferme pas tout-à-fait les yeux, comme M. Desjobert, sur les avantages d’une double position dans la Méditerranée. Il ne nie pas la bonté des stations maritimes d’Oran, d’Arzew, de Mostaganem, de Bougie, de Bone et de la Calle. Il va même jusqu’à consentir à l’amélioration du port d’Alger. Mais que seraient des positions maritimes toujours menacées de l’intérieur ! car certainement la population arabe, abandonnée à elle-même, harcellerait sans cesse nos établissemens, qui ne seraient, comme l’entend M. Piscatory, qu’un refuge pour nos vaisseaux. M. Piscatory félicite cependant de la prise d’Alger la France, qui a obéi, en cela, dit-il, à une mission providentielle qu’elle a reçue de tous les temps depuis les croisades. L’abolition de la piraterie lui était réservée, comme les guerres d’Italie, qui joignirent la civilisation byzantine à celle de l’ouest de l’Europe. Nous pourrions encore chicaner sur ce petit trait d’érudition histo-