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en nos mains l’instrument le plus énergique et le plus pur de la sociabilité.

Nous vivons dans un siècle de discussion. Ce qui, surtout, distingue notre âge des autres, c’est l’application directe des lumières de la raison aux affaires politiques. Sans doute, elle avait commencé pour les contemporains de Montesquieu, du grand Frédéric et de Jean-Jacques ; mais elle comportait de nombreuses restrictions, du consentement même d’une partie des écrivains philosophes, qui laissaient aux gouvernans la direction exclusive des intérêts généraux, si les gouvernans ne les troublaient pas dans le développement des théories spéculatives. Aujourd’hui la pensée humaine, qui n’a plus d’inquiétudes pour ses droits et sa liberté, se livre avec ardeur à l’examen des problèmes sociaux, des institutions politiques, des rapports entre les peuples et les gouvernemens, des relations des nations entre elles.

Que cette application de la raison de tous aux intérêts de tous ne puisse se produire dans les premiers temps sans un peu de confusion, sans quelques malentendus, même sans quelques contresens, cette anarchie passagère est inévitable et n’a rien qui doive nous jeter dans le désespoir. La discussion universelle de toutes les questions humaines est un fait indestructible avec lequel personne n’aurait bonne grace de se refuser à vivre. Les religions et les gouvernemens doivent être possibles avec la liberté de la pensée : voilà le miracle du XIXe siècle.

De tous les faits humains, la guerre est peut-être celui que la discussion générale doit le plus modifier. Les développemens de la civilisation ne tendent pas à la supprimer, mais à lui imprimer pour l’avenir une face nouvelle. On peut dire que faire l’histoire des révolutions de la guerre, ce serait écrire l’histoire des sociétés elles-mêmes ; la guerre reflète tous les changemens de la vie humaine.

L’Europe a passé l’âge des premières émotions militaires : elle ne guerroiera plus pour l’unique plaisir de se mouvoir, pour satisfaire cette pétulance héroïque qui est le signe de l’enfance des peuples. Déjà depuis trois siècles on ne l’a guère vue se mettre en branle qu’animée par la conscience d’une cause morale, et dirigée par une pensée systématique. Les guerres de la révolution ne nous ont-elles pas montré dans des proportions gigantesques ce mobile et ces tendances ? La France se bat pour défendre les principes de sa liberté nouvelle, voilà la cause morale ; vient ensuite Napoléon qui eut dans son génie quelque chose de plus réfléchi et de plus profond encore que César,