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et déférence, plus elle sera jugée sévèrement dans l’usage qu’elle en fera. Au surplus, sur ce point comme sur d’autres, les évènemens à venir n’auront rien d’arbitraire, car le monde ne s’est soustrait aux fantaisies de Napoléon que pour obéir exclusivement aux lois de la nature des choses.

Comparé à l’étude sur la Belgique, le morceau consacré par M. de Carné à l’Allemagne est peut-être moins riche en aperçus nouveaux. Il est vrai que l’auteur ne pouvait guère éviter la redite de choses déjà connues. Une de ses opinions nous a causé quelque étonnement. Il est, dit-il, loisible de penser que l’érection d’une tribune politique à Berlin aurait plus avancé que tous les efforts du gouvernement prussien l’œuvre à laquelle il s’est laborieusement dévoué. Nous avons été surpris que M. de Carné, qui sait si bien déduire les destinées et les actions des peuples de leur histoire, ait pensé que spontanément la monarchie prussienne, dont la récente illustration est toute militaire, pouvait ériger dans son sein une tribune comme l’Angleterre, qui, depuis le XIIe siècle, a l’habitude de délibérer sur ses affaires ; comme la France, qui, depuis la même époque, a toujours associé le mouvement des idées au bruit des armes. Long-temps encore la Prusse devra supporter cette destinée contradictoire de craindre la liberté tout en ayant une grande intelligence, d’amasser les trésors de la science sans en permettre l’application politique, et de ne pas vouloir que des chambres représentatives s’ouvrent à côté de ses universités florissantes. Il y a d’ailleurs pour elle d’autres motifs tirés de ses relations extérieures. Berlin, qui est limitrophe de la monarchie absolue du czar par le grand-duché de Posen, ne pourrait adopter le régime constitutionnel sans rompre avec la Russie. Ainsi, dans l’avenir de l’Europe, tout se complique, s’entrelace, et les problèmes sont solidaires.

Quand du Nord on reporte ses regards sur le Midi, on trouve des nations illustres dont la gloire est contemporaine des commencemens mêmes de l’histoire moderne, qui jetèrent un vif éclat au XVe et au XVIe siècle, et qui depuis deux cents ans cherchent d’autres destinées, sous l’inspiration des idées et des principes politiques de la France et de l’Angleterre. M. de Carné a su peindre avec une énergie profonde et pittoresque les destinées si diverses qu’a traversées la Péninsule Ibérique, où se fait voir, comme il le dit fort bien, la stérilité des plus beaux dons du ciel. L’héroïsme du Castillan est vivement indiqué. « La guerre devint pour lui quelque chose de sacré, dit l’auteur ; il la fit avec une foi forte et impitoyable, et la destruction des