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cassien a été offert à l’Angleterre comme station commerciale, saisira certainement cette occasion d’étendre notre commerce aux pays de la mer Noire, jaloux comme il l’est du bien-être du pays et du maintien de la puissance et de la grandeur britannique…

« Si les gardiens de nos droits hésitaient à suivre, dans cette affaire, une ligne politique hardie, et abandonnaient des millions de nos semblables à un destin qu’on ne peut se figurer sans effroi, non-seulement ils appelleraient sur notre tête un anathème universel, mais encore ils ouvriraient la porte aux agressions et aux insultes des Russes dans toutes les parties du monde. La Russie une fois en possession des défilés du Caucase, nous ne pouvons plus rien faire pour garantir l’intégrité de la Turquie et de la Perse, si ce n’est avec une dépense incalculable d’hommes et d’argent. N’est-il pas évident que le meilleur moyen de prévenir une longue guerre est de fortifier nos alliances dans le Levant, et plus spécialement avec les peuples riverains de la mer Noire ? Soyez sûr que si nous ne nous servons pas de notre influence pour protéger la Circassie, comme état indépendant, tous les gouvernemens de l’Orient dédaigneront notre amitié et chercheront, en définitive, à s’unir avec la Russie comme étant une alliée plus utile… J’ai assez vu par moi-même et assez entendu pour pouvoir assurer que la faiblesse de la Turquie et de la Perse est la seule raison qui les empêche d’embrasser ouvertement la cause des montagnards ; malgré le peu de ressources dont elles peuvent disposer, si ces puissances étaient encouragées par une manifestation publique de sympathie de notre part, leur intervention serait immédiate et décisive. Quoi qu’il en soit, l’effet moral de l’apparition d’un vaisseau de guerre anglais dans l’Euxin serait incalculable. Le Turc abattu se réveillerait de son apathie ; tous les Caucasiens, de la mer Noire à la mer Caspienne, courraient aussitôt aux armes, et les Russes iraient, en toute hâte, se cacher dans leurs forteresses ; car, je le répète pour la centième fois, la force de la Russie n’est que faiblesse, et l’agrandissement de son territoire, depuis un demi-siècle, n’est dû qu’à la négligence des autres puissances que leur intérêt aurait dû rendre plus vigilantes, à des finesses diplomatiques, et à la manière audacieuse dont elle a exécuté ses projets. » Ces exhortations ne semblent pas avoir produit encore leur effet sur les ministres de la Grande-Bretagne, et nous avons vu que lord Durham, notamment, ne partage aucunement les idées de M. Spencer sur l’affaire de la Circassie. Il ne faut pourtant pas perdre de vue que le sentiment exprimé ici sur la nécessité d’en venir tôt ou tard aux mains avec la Russie, est très