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qui avait escorté le comte Woronzof le long de la côte d’Abasie, qui proposa à M. Spencer de l’accompagner à Sébastopol. Pendant la traversée, il obtint du capitaine un état des forces navales de la Russie, que nous lui emprunterons à notre tour. « L’escadre de la mer Noire, dit-il, se compose de quatorze vaisseaux de ligne, de huit frégates de 60 canons, cinq corvettes, dix bricks, quatre schooners, neuf cutters, trois yachts, sept bateaux à vapeur, outre quelques transports, le tout sous les ordres de l’amiral Lazaref. L’escadre de la mer Baltique renferme vingt-sept vaisseaux de ligne, seize frégates, trois corvettes, douze bricks, et en outre les yachts impériaux et quelques petits bâtimens. Cette escadre est partagée en trois divisions, commandées chacune par un vice-amiral ; Le nombre des matelots de toute la marine russe est porté à quarante-cinq mille. La plus grande partie ne sert que pendant les mois d’été. Un vieil officier de marine anglais, d’humeur caustique, que je rencontrai à Sébastopol, les appelait plaisamment des papillons. »

Sébastopol, avec sa belle citadelle, ses prodigieuses fortifications et sa vaste baie couverte de vaisseaux de guerre du premier rang, présente l’aspect le plus imposant du côté de la mer : elle rappela Malte à M. Spencer. Malgré son air de grande ville, elle n’a pas un seul hôtel, ce qui avait peu d’inconvéniens pour notre voyageur, à qui ses amis russes offraient à l’envi leurs maisons, « car, dit-il, il n’y a pas de gens plus hospitaliers que les Russes, au moins pour un Anglais. » Sébastopol a un autre désagrément, c’est qu’il n’y a pas un arbre à plusieurs lieues à la ronde, et qu’on y souffre horriblement du soleil et de la poussière ; mais si on la considère comme établissement maritime, c’est la plus importante possession qu’aient les Russes sur la mer Noire. Le principal port est si vaste et l’ancrage y est si bon, que des flottes entières pourraient y tenir, à l’abri de tout orage ; il y a une telle profondeur d’eau, qu’on y voit les plus forts navires reposant à une encâblure du bord. Il y a en outre quatre ou cinq petites baies s’étendant dans diverses directions et bordées, comme le havre principal, d’une suite de promontoires faciles à défendre ; aussi les a-t-on garnis de fortifications et de batteries formidables : celles-ci doivent avoir huit cents canons, et quand tout ce qui est projeté sera achevé, Sébastopol sera une des places maritimes les plus fortes qu’il y ait en Europe. L’amirauté, l’arsenal, les bassins, et en général tous les travaux publics y sont construits sur une échelle gigantesque ; un vaste aqueduc digne des Romains amène l’eau à la ville à travers des montagnes et des vallées, et le gouvernement entreprend