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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

n’y a pas de partie du monde où le voyageur et le commerçant soient exposés à moins d’inconvéniens. Indépendamment de toute considération intéressée, un commerce plus étendu produirait l’effet le plus heureux sur le caractère du peuple, et si un sentiment réciproque de bienveillance était encouragé entre les deux nations, il deviendrait probablement très utile au salut de la Turquie. »

Nous avons cru devoir traduire ces considérations, parce que nous pensons qu’elles expriment fidèlement l’opinion de la plupart des Anglais établis dans le Levant, et notamment celle de M. Urquhart, le grand et habile ennemi de l’influence russe à Constantinople, que M. Spencer paraît avoir beaucoup fréquenté, et que sa guerre ouverte contre le cabinet de Saint-Pétersbourg a forcé de s’exiler de la plupart des salons de Pera, où les diplomates moscovites donnent le ton. Il n’est pas sans intérêt de savoir qu’au jugement d’un Anglais intelligent et bien informé, d’ailleurs très porté en faveur de Mahmoud, et faisant des vœux ardens pour le succès de ses réformes, la Turquie ne peut pas, d’ici à un demi-siècle, opposer une résistance sérieuse à son redoutable voisin. Qui donc arrêtera la marche triomphante de la Russie ? Sera-ce le Caucase avec ses Circassiens ? M. Spencer l’espère à force de le désirer ; nous examinerons plus tard jusqu’à quel point ses espérances sont fondées.

C’est à Constantinople, en visitant l’école des cadets établie dans le sérail, qu’il se décida tout à coup à tenter un voyage en Circassie ; et voici à quelle occasion. Parmi les adolescens qui se forment, sous les yeux du sultan, à tous les exercices militaires, on lui fit remarquer un beau jeune homme, fils d’un prince cabardien du Caucase, qu’on lui désigna comme le plus remarquable par son intelligence, son adresse et sa vigueur. « En m’entretenant avec le jeune montagnard sur l’état actuel de son pays, dit-il, je fus surpris de l’enthousiasme avec lequel il en parla. Son attachement à la terre de ses aïeux était sans bornes, et ses descriptions exaltées des beautés pittoresques du pays, de l’hospitalité et de la bonté de ses habitans, accrurent le désir que j’avais depuis quelque temps de visiter le Caucase. Je fus étonné de son éloquence quand il s’étendit sur l’injuste agression de la Russie. Il montrait le plus ardent enthousiasme en parlant du jour où il pourrait tirer l’épée pour la défense de sa patrie, et, comme tous les montagnards, il parlait avec une tendresse passionnée de ses collines natales… Quand je lui fis connaître mon désir, il me donna une amulette, m’assurant qu’en la présentant à son père, je serais reçu comme un ami ; que même, en arrivant dans le pays, la