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seaux de guerre, on trouve partout la même torpeur négligente, le même manque d’énergie. On ne prend aucun soin pour que la tenue militaire et la contenance des troupes soient de nature à porter la terreur dans le cœur des ennemis. Outre l’apparence généralement malpropre des hommes et le peu de respect marqué par les soldats à leurs officiers, on ne fait aucune attention à ce que les rangs soient bien appareillés ; car l’on voit souvent l’homme le plus maigre à côté du plus chargé d’embonpoint et un nain accolé à un géant, comme si l’on cherchait exprès ces rapprochemens ridicules. Quelque insignifans que puissent paraître ces détails, soyez sûr qu’il en résulte un effet fâcheux, et que leur impression sur le spectateur accoutumé à la belle apparence des troupes européennes ne peut être qu’un sentiment de mépris pour une armée composée de pareils élémens. Mais c’est quand ils marchent que ces soldats ont l’air le moins militaires, et je crois en vérité que le meilleur instructeur d’Europe ne viendrait pas à bout de corriger entièrement un Osmanli de la gaucherie et de l’insupportable dandinement particulier à ce peuple, quand il se met en mouvement.

« Quoique le Turc ainsi enrégimenté n’ait point une contenance martiale fort imposante, il a pourtant ses qualités essentielles comme soldat : il est plus patient dans les revers et plus endurant que l’Européen ; son mépris pour toutes les commodités de la vie ne saurait être trop admiré. Son lit, qui ne se compose que d’un morceau de tapis ou d’une natte, avec une couverture en poil de chameau ou de chèvre, lui sert également au camp et à la caserne, et un énorme chaudron fait cuire tout ce qu’il faut de pilau pour les besoins d’une compagnie. Quand ces objets lui sont procurés (et autrefois il n’y fallait pas toujours compter), il est aussi heureux et plus heureux peut-être que le soldat européen le mieux nourri et le mieux logé.

« Le manque d’un service de santé bien organisé est une des lacunes les plus importantes dans l’armée turque ; car le disciple de Mahomet, nonobstant son fatalisme et sa détermination à opposer l’apathie aux revers et le stoïcisme à la douleur, s’apercevrait certainement bientôt des avantages d’un bon traitement médical. Il serait impossible de former un corps de médecins indigènes capable de suffire aux besoins du service, et il y aurait de grands inconvéniens à recourir uniquement à des étrangers ; toutefois il est fort désirable qu’on fasse quelques tentatives pour soulager les souffrances des malades et des blessés dans la première guerre que la Turquie aura à soutenir. Un service de santé n’est pas, du reste, la