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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

ce peuple pourrait, avec le temps, être converti au christianisme protestant ; d’autant plus qu’il reçoit avec une faveur très marquée tout ce qui vient de l’Angleterre. »

Nous avons mentionné cette opinion, parce qu’elle a quelque chose de neuf et d’original. Quant à nous, nous doutons fort que les Turcs se rallient à l’église anglicane, quoique nous reconnaissions aussi des analogies entre l’islamisme et le protestantisme. La religion de Mahomet n’est, après tout, qu’une hérésie chrétienne. Le Coran, dans ce qu’il a d’essentiel, n’est qu’un plagiat de l’Ancien-Testament et de l’Évangile ; il reconnaît la mission divine de Jésus-Christ, et lui accorde même beaucoup plus que les protestans rationalistes, si nombreux aujourd’hui en Allemagne et en Angleterre. Nous n’espérons guère, du reste, la conversion des Turcs au christianisme. La corruption de leurs mœurs, favorisée par une religion toute sensuelle, malgré son apparence de spiritualisme métaphysique, l’institution de la polygamie, celle de l’esclavage, sont des obstacles trop difficiles à lever ; mais si pareille chose pouvait se tenter, nous pensons que l’église catholique aurait beaucoup plus de chances de succès que les églises séparées d’elle, car, indépendamment de toute autre considération, elle est beaucoup plus habile en fait de prosélytisme, et ses missionnaires sont encore les seuls qui aient opéré des conversions sur une grande échelle. L’antipathie des mahométans pour les images et les jours de jeûne, sur laquelle insiste M. Spencer, est une objection tout-à-fait insignifiante[1], parce que les pratiques auxquelles il fait allusion sont quelque chose de tout-à-fait secondaire, et appartiennent à cette partie du catholicisme qui peut se modifier selon les temps et les lieux. Nous lui rétorquerions un argument de la même force et peut-être même meilleur, si nous lui disions que ce qui empêchera les Turcs de se faire protestans, c’est qu’ils font grand état des pélerinages, qu’ils aiment fort les légendes, et qu’ils ont des ordres monastiques contemplatifs, toutes choses que la réforme a proscrites comme des superfétations contraires à la pureté du christianisme. Mais ne nous lançons pas dans une discussion qui exigerait de trop longs développemens, et revenons aux jugemens de M. Spencer sur la moralité des musulmans.

« La plus éloquente satire contre la religion mahométane, dit-il,

  1. Elle n’est pourtant pas sans valeur si on l’applique aux schismatiques grecs, qui poussent souvent le culte des images à un tel excès, qu’ils semblent y faire consister toute la religion, qui s’assujettissent à une foule de pratiques étrangères à l’église romaine, et qui, en général, s’attachent beaucoup plus à la lettre qu’à l’esprit.