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ne président à leurs conseils, particulièrement en tout ce qui touche notre commerce et notre politique étrangère.

« Si l’on s’emparait, à la façon des grands hommes d’état, des avantages que cet incident a fournis, comme l’eût certainement fait un Pitt, un Canning, et même un Fox, nous pourrions à la fois enlever à la Russie ses moyens d’agression dans l’Orient, délivrer un vaillant et malheureux peuple des horreurs de la lutte la plus injuste et la plus inégale qui ait jamais déshonoré une puissante nation, assurer définitivement la liberté de la navigation sur l’Euxin, établir la paix en Europe et en Asie, et ouvrir à l’industrie anglaise un nouveau canal jusqu’à nos possessions de l’Inde, à travers les fertiles contrées situées entre la mer Caspienne et la mer Noire, non sans décupler notre commerce avec l’Asie Mineure et la Perse.

« Au contraire, si, nous endormant dans une sécurité pleine d’illusions, nous ne prenons aucune mesure pour assurer nos droits et défendre nos intérêts, dans quelques années, lorsque les braves habitans du Caucase, qui implorent aujourd’hui notre protection, seront exterminés, lorsque la Turquie et la Perse seront enchaînées aux roues du char de leur conquérant dans sa marche vers l’Inde ; lorsque notre commerce aura passé en d’autres mains et dans d’autres canaux, nous regretterons notre oisiveté quand il ne sera plus temps d’agir, nous pleurerons sur notre manque de clairvoyance quand les funestes présages auront été accomplis, et nous gémirons, mais trop tard, de ce qu’au lieu de marcher hardiment pour prévenir le mal, nous l’aurons laissé prendre d’assez grands accroissemens pour qu’il n’y ait plus, dois-je le dire, aucune espérance de le combattre avec succès. »

Tout cela est dicté par un patriotisme fort louable, sans doute, mais qui s’exprime avec plus de franchise que d’habileté, si tant est que l’on veuille faire des alliés à la Circassie sur le continent. M. Spencer, cela ressort de chacune de ses phrases, voit avant tout dans la cause circassienne celle du commerce anglais : les grands mots d’humanité et de liberté ne sont guère là que pour la forme. Mais si la Russie n’est si haïssable, la Circassie si intéressante, que parce que l’une est la dangereuse ennemie du monopole maritime et commercial de la Grande-Bretagne, pour lequel l’autre peut devenir un utile auxiliaire, nous, Français, qui après tout supportons impatiemment ce monopole, et qui avons plus à gagner qu’à perdre à sa destruction, nous devons nécessairement nous sentir très refroidis pour une cause