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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

tion. L’auteur allemand est un homme d’une tout autre espèce. Professeur dans une université russe, il a fait son voyage, il y a déjà quelques années, aux frais du gouvernement. Chargé d’étudier la mer Caspienne et les pays caucasiens, sous le rapport de la géologie et de l’histoire naturelle, il a recueilli en même temps une foule de détails de mœurs, de renseignemens ethnographiques, historiques et statistiques, qui sont devenus la partie la plus considérable et la plus importante de sa relation : c’est ainsi que deux cents pages de son énorme second volume sont consacrées à un récit infiniment curieux de la guerre de Perse en 1827 et de la partie de la dernière guerre de Turquie dont l’Asie a été le théâtre. C’est un fonctionnaire public russe, qui a surtout puisé aux sources officielles, et il est bien évident qu’il ne dit pas ce que le gouvernement ne veut pas qu’on sache. Toutefois c’est un homme grave, évidemment doué de cette conscience scientifique et historique particulière aux Allemands, et qui cherche visiblement à être aussi exact et aussi complet qu’il lui est permis de l’être. D’ailleurs, en admettant qu’il taise quelques méfaits administratifs et militaires, qu’il enfle un peu les succès et atténue les revers, cela n’a pas grande importance en soi. Il ne faut s’attacher qu’aux résultats généraux, et ces résultats, le docteur Eichwald nous paraît les présenter avec clarté et les apprécier avec intelligence. Ces deux ouvrages peuvent se compléter l’un l’autre, par cela seul que l’un est écrit dans le sens le plus hostile au gouvernement russe, tandis que l’autre n’a pu être publié qu’avec son approbation. Mais il se trouve en outre que M. Spencer n’a vu que le Caucase occidental, habité par les Circassiens et les Abazes, lequel n’a pas été visité par le docteur Eichwald, dont les excursions se sont bornées au Caucase oriental, aux côtes de la mer Caspienne et aux provinces transcaucasiennes. Nous nous occuperons d’abord de M. Spencer et de la Circassie, laquelle, comme on verra, mérite d’être traitée à part ; plus tard nous suivrons M. Eichwald à l’orient et au sud du Caucase, et nous résumerons ses documens sur les dernières guerres de la Russie contre les deux grandes puissances mahométanes.

Expliquons d’abord en peu de mots quels obstacles la chaîne du Caucase a présentés et présente encore aux progrès de la Russie en Asie.

Tous les chemins suivant lesquels s’est agrandi l’empire russe avaient déjà été reconnus par Pierre-le-Grand, et aucun plan n’a été suivi par ses successeurs, qui n’ait été conçu et préparé à l’avance dans cette puissante tête. En même temps qu’il établissait sa capitale